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Programme du séminaire Flux et Circulations 2025/2026

Cher.es collègues,

Voici le programme annuel du séminaire Flux et Circulations 2025/2026.

Les séances à Lyon se dérouleront au 18 rue Chevreul. Toutes les séances pourront être suivies à distance, les liens de visioconférence seront partagés via la mailing list de l’Atelier.

Au plaisir de vous retrouver pour une belle année d’échanges.

L’équipe d’animation du séminaire

Contacts : Antoine Fontaine (antoine.fontaine@cnrs.fr), Emmanuel Martinais (emmanuel.martinais@entpe.fr) et Annabelle Serraz (annabelle.serraz@univ-grenoble-alpes.fr).

Séance 1 : vendredi 26 septembre 10h-12h (salle 306)

  • Antoine Giret (sciences de l’environnement), Laetitia Mongeard (géographie) et Benoît Schmaltz (droit). Présentation et discussion de trois projets de recherche en cours portant respectivement sur les flux d’azote territoriaux, l’utilisation des matériaux de chantier des sols et sous-sols comme ressource pour les villes, et la rénovation thermique des bâtiments.

Séance 2 : vendredi 10 octobre 10h-12h (salle 201)

  • Pierre Desvaux (géographie), Clément Dillenseger (géographie), et Laetitia Mongeard (géographie). Présentation et discussion du livre « Métabolisme(s)» et de recherches récemment publiées portant sur le métabolisme urbain.

Séance 3 : vendredi 21 novembre 10h-12h (salle à définir)

  • Audrey Dupont-Camara (aménagement du territoire). Présentation et discussion d’une thèse récemment soutenue sur la réutilisation des matériaux de (dé)construction et leur insertion dans l’économie circulaire.

Séance 4 : vendredi 5 décembre (salle Rotonde) 10h-12h

  • Antoine Fontaine (géographie) et Laurence Rocher (urbanisme). Présentation et discussion du livre « Le défi thermique» sur les politiques, normes et territoires du chauffage et de la chaleur.

Séance 5 : vendredi 16 janvier (salle 604) 14h-16h

  • Clarence Hatton-Proulx (urbanisme). Présentation et discussion de recherches en cours sur les trajectoires historiques de traitement des déchets dans les agglomérations de Montréal et Paris.

Séance 6 : vendredi 27 février (salle 604) 10h-12h

  • Yann Brunet (histoire) et Anaël Marrec (histoire). Présentation et discussion de deux recherches sur les décharges urbaines à Montréal et les différentes mobilisations des déchets.

Séance 7 : vendredi 20 mars (salle 604) 10h-12h

  • Juliana Colonna (sociologie). Présentation et discussion d’une thèse récemment soutenue sur les usages du sous-sol comme stockage autour de l’exemple de Lacq.

Séance 8 : vendredi 24 avril (salle 604) 10h-12h

  • Pierre Desvaux (géographie), Rémy Duffal (droit), Vincent Jourdain (sociologie) et Audrey Tanguy (sciences de l’environnement). Présentation et discussion de deux recherches en cours portant sur les démarches et dispositifs relevant de la responsabilité élargie du producteur (REP).

Séance 9 : vendredi 22 mai (Saint-Etienne, EMSE, salle à définir), 10h-16h

  • Séminaire doctoral, programme communiqué ultérieurement

Séance 10 : vendredi 12 juin (salle 604) 10h-12h

  • Laurence Rocher (urbanisme). Présentation et discussion du livre « Circularités urbaines » sur le recyclage des flux urbains.

Comptes-rendus des séminaires Flux et circulations de l’année 2024/2025

Papiers et matières enroulées @Unsplash @ Suzi Kim

A l’issue de notre cycle de séminaire annuel, nous avons le plaisir de mettre à votre disposition les comptes-rendus d’une partie des séances. Nous remercions pour cela chaleureusement Camille Oules, étudiante à l’ENS de Lyon, pour son travail de retranscription de nos échanges tout au long de l’année. En vous souhaitant un excellent été et au plaisir de vous retrouver nombreux.ses pour les séminaires de l’an prochain.

Séance du 6 décembre 2024 :
Lisa CLAUSSMANN – Le sous-sol comme espace de relégation des pollutions industrielles

Lisa Claussmann a soutenu sa thèse en Sciences, Techniques et Société en 2023, sous la direction de Soraya Boudia (Cermes3, Paris-Cité) et Hélène Michel (SAGE, Sciences Po Strasbourg), intitulée : « Au nom de l’environnement. Stocamine : la reconversion d’un territoire minier par l’enfouissement de déchets dangereux. » Elle travaille désormais comme post-doctorante au Centre de Sociologie de l’Innovation (CSI) de l’École des Mines, sur les questions de captage et de transport du CO2.

Dans sa thèse, Lisa Claussmann s’intéresse à la manière dont l’enfouissement de déchets industriels est présenté comme une réponse à problème local, la pollution des eaux souterraines, mais aussi national, l’accumulation de déchets industriels. Elle propose de montrer que l’environnement est à la fois utilisé pour justifier l’enfouissement des déchets, et sert de registre argumentaire pour défendre le déstockage des déchets aujourd’hui. Sa communication est organisée en cinq temps : après avoir introduit le sous-sol comme objet problématique et le site d’enfouissement de Stocamine, elle a présenté le cadre méthodologique et analytique de son enquête, puis a exposé ses résultats principaux.

La thèse de Lisa Claussmann vise à répondre à la question suivante : comment le sous-sol est-il devenu un espace d’évacuation des pollutions industrielles, à la fois objet et sujet de politiques publiques ? Pour problématiser le sous-sol, elle s’est appuyée sur des travaux différents, notamment la littérature anglo-saxonne (Kinchy et al., 2018) et surtout la thèse récente de Julianna Colonna (2024) portant sur l’évacuation souterraine des effluents dans la zone de Lacq. Quels acteurs participent à cette construction ? Quels rapports les acteurs.ices entretiennent avec les souterrains ? Quels sont les rapports avec les « choses » (Denis et Pontille, 2022) qui sont évacuées dans l’espace souterrain ? Parler de choses permet de ne pas restreindre l’objet aux qualificatifs de déchets dangereux. Cela permet aussi de souligner l’évolution des déchets au contact de l’espace souterrain. À ces questions s’ajoutent celles des transitions écologiques, dans lesquelles le sous-sol est central mais plutôt du point de vue de ses « ressources » minières, en tant qu’espace vide dans lequel on mettrait quelque chose. Enfin, l’objet du sous-sol renvoie aux travaux sur les résidus (Boudia et al., 2022), avec des déchets enfouis qui ont une durée de vie longue, et qui ressurgissent dans le temps et l’espace.

Le site de Stocamine, au Nord-Ouest de Mulhouse, a constitué le terrain d’étude de Lisa Claussmann. Les déchets qui y sont stockés sont des « déchets industriels dangereux et ultimes », en majorité des résidus de l’incinération de déchets industriels et ménagers, mais également des déchets contenant de l’amiante et d’autres types de minerais toxiques. Stocamine est située sous une ancienne mine de potasse, à 550m de profondeur, en-dessous de la nappe phréatique rhénane. Lorsque le site d’enfouissement est créé dans les années 1990, il est présenté comme un outil de reconversion territoriale industrielle. L’entreprise Stocamine, filiale des Mines de Potasse d’Alsace, exploite la mine et y stocke des déchets à partir de 1999. En septembre 2002 a lieu un incendie d’origine chimique, dû à la descente de déchets non conformes au cahier des charges. L’exploitation du site est arrêtée en 2003. Des mobilisations à l’échelle locale demandent alors le retrait des déchets ; 2000 tonnes sont retirées entre 2013 et 2017, mais il reste 42 000 tonnes de déchets. Pour Lisa Claussmann, la question des déchets et de la reconversion du territoire se situent au croisement d’enjeux environnementaux. En 1991, des brochures présentent « une mine au service de l’environnement » : cette reconversion « environnementale » du territoire permet de rallier les élus, les acteurs économiques et les travailleurs locaux. Les enjeux environnementaux se jouent aussi à l’échelle nationale : le site de stockage est présenté comme indispensable pour la transition nationale. Pourtant, Lisa Claussmann souligne que les déchets sont caractérisés par des déplacements, à la faveur d’assemblages techniques, qui permettent de transférer la source de pollution d’un territoire à un autre. Il reste toujours un peu de déchets, et leur stabilité chimique n’est pas assurée : c’est cette dimension matérielle qui intéresse la chercheuse. À rebours d’une analyse circulaire de la gestion des déchets, sa thèse pose la question suivante : dans quelle mesure les différentes attentes politiques, techniques, économiques sont rattrapées par la matérialité du problème des déchets ?

Lisa Claussmann a mis en place une enquête qualitative, rassemblant un corpus d’archives, des entretiens et des observations. Elle a réalisé sa thèse entre 2019 et 2023. L’objectif initial était de s’immerger dans l’espace des anciens mineurs, mais ils ne se sont pas réunis pendant la crise sanitaire. Elle a donc conduit une analyse documentaire d’archives diverses datées de 1984 à 2017, des archives départementales aux archives du Ministère de l’Industrie, en passant par des archives personnelles d’anciens mineurs, des expertises scientifiques et des archives associatives. Ce corpus a été complété par 42 entretiens avec des militants et syndicalistes, des responsables du site de stockage, des acteurs institutionnels, et des anciens mineurs. Elle a enfin réalisé de courtes observations du site de stockage. Lisa Claussmann a utilisé un cadre d’analyse mêlant la sociologie de l’action publique et les STS, appuyée notamment sur l’étude des déchets nucléaires ou radioactifs (Barthe, 2006 ; Blanck, 2017) et des déchets plastiques (Monsaingeon, 2017).

Les résultats de cette enquête soulignent la diversité des récits du stockage souterrain, qui en font une réalité complexe. L’enfouissement a été présenté comme solution technique et écologique à un double problème, l’accumulation des déchets industriels et la désindustrialisation du territoire, puis il a été reconstruit comme un problème environnemental et sanitaire. L’enquête de terrain, et notamment les entretiens avec les mineurs, montrent cependant que l’espace souterrain existe par différents récits pluriels. Pour les mineurs, le sous-sol est d’abord un espace de sociabilités, un espace professionnel dans lequel les déchets n’occupent pas une place centrale, et qui permet une reconfiguration du métier. Cette conception va à l’encontre des discours associatifs et militants sur la pollution de la nappe phréatique. La réalité matérielle des déchets remet aussi en question les discours qui visent à séparer l’extraction de l’enfouissement, ou le sous-sol de la surface. Pour la chercheuse, les déchets « ultimes » continuent à circuler, à la fois dans l’espace souterrain avec les fumées toxiques de l’incendie, et dans l’espace public en surface avec les critiques sur la durabilité de la solution d’enfouissement. L’incendie a remis en question l’accord légitimant la création du site de stockage.

Par ailleurs, Lisa Claussmann souligne l’intérêt de faire de l’espace souterrain un objet de recherche en sciences sociales. Largement méconnu car restreint d’accès, en proie aux incertitudes, l’espace souterrain cristallise des représentations différentes, de l’attachement des mineurs à l’inquiétude environnementale des habitants, appuyés sur des registres argumentatifs pluriels. Le sous-sol est aussi un espace de travail, qui croise des activités opposées : le stockage requiert l’extraction de minerai pour créer une cavité et l’introduction de résidus toxiques pour la biodiversité. En fait, le sous-sol est de plus en plus investi pour d’autres activités que l’extraction minière. Les connaissances qui investissent ce sous-sol sont informées par les activités minières et tiennent peu compte des externalités environnementales.

Enfin, la chercheuse conclut sur la question de l’échelle de l’action publique dans les controverses industrielles et environnementales : le stockage souterrain, par sa matérialité, semble se négocier beaucoup plus à l’échelle locale, ce qui fait douter de la capacité des pouvoirs centraux à élaborer des scénarios de reconversion dans la transition écologique.

Discussion

Quelle était la cause de l’incendie ?

Lisa Claussmann : Il y a eu une enquête et un procès, qui ont montré que l’incendie était lié à la descente de déchets non-conformes car non inertes. En fait, il existe beaucoup de termes pour qualifier ces déchets, et la confusion entre ultime et inerte est fréquente parmi les mineurs. Un déchet ultime ne peut plus être retraité, alors qu’un déchet inerte est stable physiquement et chimiquement. En 2002, l’incendie était dû à des déchets suintants amenés à Stocamine, qui ont d’abord été refusés et stockés en surface longtemps, puis ont finalement été descendus. Il y a eu une réaction chimique avec la température des blocs de stockage qui a fait qu’ils ont pris feu, surtout sous forme de fumées. Ces déchets n’avaient pas été contrôlés sur place, certainement par manque de moyens, et contenaient des matériaux non conformes, probablement de l’amiante.

Est-ce que Stocamine est le nom du projet après la reconversion ?

C. : Stocamine est le nom de l’entreprise créée en janvier 1991, qui veut dire « Stockage en mine ». Elle a donné son nom au site. Aujourd’hui elle n’existe plus, ce sont les MPA (Mines de Potasse d’Alsace) qui s’en occupent.

Comment les mineurs ont-ils été recontactés pour ce projet ?

C. : Il y avait 643 mineurs au moment de la création de Stocamine, et c’était un moment où l’on manquait d’entreprises dans lesquelles reconvertir les mineurs. Le site de stockage a donc répondu à une demande d’emploi importante. L’objectif était de ne pas laisser de mineur sans option. Il y a eu la promesse d’une centaine d’emplois mais seulement vingt ont été pourvus, et une petite dizaine de mineurs ont été réellement reconvertis.

À quel point ce type de site de stockage est répandu en France ?

C. : Ça existe, mais sous forme illégale. Par exemple, dans le Nord de l’Alsace, des puits de pétrole anciens ont été réinjectés avec des déchets industriels à l’époque où il n’existait pas de réglementation (dans les années 60). Mais je n’ai rencontré que Stocamine qui a été exploitée légalement. Il y a des dispositions dans la loi sur le stockage géologique de déchets nucléaires, mais rien sur le stockage géologique de déchets industriels. Pour Stocamine, l’autorisation a été accordée pour 25 ans, au terme desquels il doit y avoir une évaluation environnementale. Avec l’incendie, ce terme n’est pas arrivé. Il y avait par ailleurs une disposition qui précisait que le stockage pouvait cesser si l’apport des déchets avait cessé depuis 1 an.

La création de Stocamine correspond au moment où on fait le choix d’incinérer massivement les déchets ménagers. Quelle est la nature des déchets stockés ?

C. : Il a été difficile d’avoir la liste des déchets car je partais du site de stockage. J’ai des documents sur les entreprises d’où viennent les déchets, mais je n’ai pas fait d’analyse exhaustive des types de déchets. En 1991, il s’agissait de « déchets de classe zéro », selon un classement qui distinguait les déchets à partir de leur mode d’élimination. La classe zéro incluait les déchets très dangereux, d’où l’enfouissement. Le seul moment où j’ai rencontré les questions de catégorisation était dans une étude de l’ANRED (ancêtre de l’ADEME). Ce sont des catégories qui se construisent au fur et à mesure de l’exploitation. Les déchets ménagers sont arrivés dans les documents après la loi de 1992. Il y a donc eu un élargissement à d’autres catégories de déchets. Leur stockage géologique est devenu rentable car le coût de traitement était moindre pour entreprises qu’à la surface. Mais je n’ai pas enquêté spécifiquement sur ces déchets-là.

Les catégories de déchets sont apparues les unes après les autres : dans les années 1990 on parlait de déchets industriels et spéciaux, puis sont arrivés les déchets ultimes, puis on a abandonné les catégories pour se conformer aux normes européennes, en distinguant seulement les déchets dangereux des non-dangereux. Est-ce que cette évolution dans le temps a eu une conséquence sur le stockage des déchets ?

C. : Dans les années 1990, le « moment déchets industriels et dangereux » doublé d’un flou juridique national et européen rendent possible le stockage. Il y a des documents qui se saisissent de la catégorie de déchets, et cela fonctionne. J’ai abandonné l’idée de retracer déchets car la « classe zéro » ne veut rien dire à part pour les travailleurs de Stocamine. Les changements de catégorie entre la création et aujourd’hui, et l’absence de liste des déchets et de ce qu’ils contiennent, font que j’ai utilisé seulement des catégories administratives figées (les « déchets industriels dangereux et ultimes »).

Est-ce que la connaissance des mineurs est entrée en contradiction avec ce qu’on leur demandait pour le stockage ?

C. : Bien sûr, les mineurs se rendent compte que la mine a changé, que le sous-sol a bougé, à l’inverse de ce que clament les ingénieurs. Il y a un vrai conflit autour du discours sur la mine entre ceux qui y descendent et ceux qui n’y descendent pas. Mais les voies contre le stockage sont assez faibles parmi les mineurs, parce qu’ils souhaitent garder leur travail et sont attachés à l’histoire minière. Aujourd’hui, le constat que la mine bouge et que l’espace n’est pas figé sert d’argument à l’entreprise minière pour insister sur le danger de ressortir les déchets, parce que le manque d’entretien des blocs de stockage a conduit à l’écrasement des déchets. Le temps long permet aussi de montrer que l’enfouissement n’est pas seulement le fruit d’une décision administrative, mais c’est aussi lié à ce qu’on fait le choix de maintenir ou pas.

Quel serait le lien avec la notion de « verrouillage technique » de Yannick Barthe [2002] ?

C. : Barthe a travaillé sur la mise en politique des déchets nucléaires, notamment la loi de 1990/1991 sur la réglementation du stockage géologique de déchets nucléaires. Il analyse ce moment comme un moment particulier car le stockage est la solution privilégiée par ingénieurs de l’industrie nucléaire, et pourtant c’est mis en discussion au Parlement. Il ne s’agissait pas de discuter la solution technique en tant que telle mais de lui donner une plus grande légitimité. Pour cette raison, on a remis à plus tard la prise de décision sur le devenir des déchets nucléaires : c’est ce que Barthe appelle le « pouvoir en décision ». En ne prenant pas de décision, le Parlement s’est saisi du sujet. Il a donné une légitimité au stockage géologique mais sans discuter d’alternative, ce à quoi renvoie la notion de « verrouillage technologique ».

Est-ce qu’on connait le pourcentage des sous-sols d’enfouissement à l’échelle nationale, pour tous les déchets miniers ?

C. : C’est une solution utilisée par les industriels. Cela repose sur une cartographie de chaque industriel sur ses activités, et leur mise en commun n’est pas systématique. La mémoire des enfouissements, par exemple dans le Nord de l’Alsace, n’est pas forcément conservée après la fermeture de l’entreprise. Il existe des sites internet qui répertorient les sols pollués (la Base des sols pollués BASOL), mais pas forcément les sous-sols. D’où mon point sur la nécessité de se saisir du sous-sol pour l’analyser en tant qu’objet de sciences sociales. Il y a encore peu de travaux sur les pollutions industrielles qui se trouvent dans le sous-sol.

Comment a été perçu le changement du travail par les mineurs, notamment au niveau des réglementations ?

C. : Ceux qui ont été reconvertis sont plutôt conducteurs d’engins et électromécaniciens, travaillant sur l’entretien des puits. Mais ils se présentaient comme mineurs. C’était difficile car je ne voulais pas induire les réponses en entretien en posant des questions sur déchets, dont les mineurs ne parlaient pas spontanément. Il y a des personnes qui sont restées pour les avantages économiques de l’emploi. La question de la transformation du travail se pose toujours par rapport à l’exploitation minière : les enquêtés se présentaient d’abord comme mineurs, en disant qu’ils avaient fini leur carrière à Stocamine. Ils me racontaient qu’ils avaient été amenés à reconditionner des déchets, sans que ça les choque plus que ça, et disaient que c’était leur travail. Ces travailleurs n’extraient pas de minerai, mais ils ne le faisaient pas non plus au temps de la mine. Il y a une mise à distance des déchets qui sont des objets techniques, inertes, qui ne deviennent dangereux qu’au moment où l’incendie se produit. Cette ambivalence a été analysée par Delphine Corteel et Stéphane Le Lay (2011). La reconversion de la mine et des mineurs sert de médium entre déchets et travailleurs.

Est-ce que la question des maladies professionnelles et de la santé au travail s’est posée, avec par exemple des mineurs rendus malades par leur travail dans la mine et le contact des déchets ?

C. : En termes de santé au travail, la maladie professionnelle qui est reconnue pour les mineurs de potasse est la perforation de la cloison nasale due à l’inhalation de sel. La question de la santé s’est posée au moment de l’incendie. Ce ne sont pas les salariés de Stocamine qui étaient alors sur le site, mais des anciens mineurs. Ils étaient préparés au risque minier mais pas au risque chimique. Ce sont eux qui ont été blessés par les fumées et qui ont grimpé sur des colis de déchets pour sauver leurs camarades. La santé au travail au travail est une question qui se pose, mais je n’ai pas pu avoir un accès précis aux données sur les déchets et donc aux produits chimiques qu’ils contenaient. Les mineurs reconvertis disaient qu’il y avait un code-barres qu’ils bipaient sur les colis de déchets, mais ils ne savaient pas ce qu’il y avait dedans. Et puis ces entretiens ont eu lieu en 2022, à propos de choses faites vingt ans avant par les travailleurs.

Est-ce qu’on sait comment ont été financés les travaux de reconversion du site ? Y a-t-il eu une évolution du site en termes d’activités, de population ?

C. : L’exploitation d’un site de stockage sur une commune s’accompagne de compensations financières de la part de l’État, en réparation des dommages causés à la commune. Stocamine est située dans la commune de Wittelsheim, dans le bassin potassique. La ville était plutôt favorable à la mine. En termes de population, je n’ai pas d’éléments pour l’affirmer, mais je ne suis pas sûre que ça ait eu une influence particulière sur la fréquentation de commune car la reconversion a concerné un ancien carreau de mine, au bout d’une cité minière, au croisement d’une route départementale menant à une autre zone industrielle. Donc on n’a pas affaire à un centre urbain. Jusqu’en 2017-2018, quand l’État autorise l’enfouissement définitif, l’affaire n’est pas vraiment connue. Aujourd’hui la position du maire de Wittelsheim est assez ambivalente, mais il a toujours affirmé qu’il souhaitait l’enfouissement des déchets. Au départ cela devait être une manière de reconvertir ville qui perdait son activité principale d’exploitation minière, en créant une zone industrielle attractive, mais cela n’a pas eu lieu : c’est plutôt une histoire de désindustrialisation du territoire. L’exploitation minière s’est terminée en 1960 sur ce carreau, donc l’activité était arrêtée depuis un moment.

Comment avez-vous eu accès au terrain et au sous-sol ?

C. : C’est assez étonnant car l’accès n’était pas si compliqué. Je suis d’abord venue dans le cadre d’un stage, en tant qu’assistante parlementaire auprès d’un député du Nord de l’Alsace qui faisait une commission d’enquête sur Stocamine, entre mon Master 1 et mon Master 2. Ça m’a donné une première vision des acteurs de la controverse. J’ai alors entendu le discours de personnes que je n’ai pas eues en entretien ensuite. Ma première descente dans le site a eu lieu dans ce cadre-là. Cette visite était bien encadrée, avec le liquidateur du site qui montrait l’effondrement des blocs, bien balisé. Puis j’ai réalisé mon mémoire de M2 dessus, et je suis à nouveau descendue dans le site : on me demandait ma carte d’identité pour descendre, ma taille et ma pointure pour un bleu de travail, mais je ne leur ai pas dit que j’étais liée à une mission parlementaire. Donc je n’ai pas eu de bâtons dans les roues pour y descendre. J’aurais bien aimé faire des observations à plusieurs reprises, en tissant plus de liens avec les travailleurs. Certains surveillent le stockage, et beaucoup sont des travailleurs détachés, notamment polonais. C’était assez frustrant car j’ai pu leur parler après la soutenance de ma thèse, quand je suis revenue. C’est la DREAL qui m’a permis de descendre à ce moment-là. J’ai rencontré des femmes et des mineurs polonais. Tout cela pose un certain nombre de questions sur ce que c’est d’enquêter comme étudiante, comme femme, dans un milieu avec uniquement des hommes plutôt âgés. Un des avantages est que je n’étais pas très dangereuse pour eux. Lors de ma dernière visite, un des délégués mineurs m’a présenté la « galerie poubelle » de 200m, qui n’est pas réglementée contrairement aux autres galeries. Cela permet de relativiser ce qui est fait à Stocamine, en montrant que ce n’est pas si terrible par rapport à ce qui se fait ailleurs. Ce sont des galeries avec une forte odeur de produits chimiques. Elles ont été bâchées après la commission parlementaire, on n’y a plus accès aujourd’hui. Sur les plans des galeries, la galerie poubelle n’apparaissait pas. Ces terrains sont passionnants car ils sont beaucoup plus compliqués que ce qu’on pense, ce ne sont pas juste des scandales environnementaux.

Qu’est-ce qui s’est passé pour la mine pendant les 40 ans qui séparent la fermeture de la mine de l’ouverture du site de stockage ? Est-ce que la mémoire ouvrière a été maintenue ?

C. : Le site n’a pas été choisi au hasard, il est près de là où la potasse a été découverte. Il est aussi situé à côté du musée des mines de potasse, financé par la Communauté d’Agglomération de Mulhouse. C’est un lieu où s’est construite l’histoire centenaire de l’exploitation de la potasse. Les puits de mine ont continué à être utilisés, les bâtiments n’ont pas été rasés, ils servaient aux mineurs pour descendre dans les galeries souterraines et circuler entre les mines. La mine a été choisie comme site de stockage pour sa composition géologique, mais aussi parce que c’est un lieu de mémoire avec des projets de musée dans la mine par exemple.

Pourquoi le choix de Stocamine ?

C. : J’ai grandi dans le Pas-de-Calais, j’ai beaucoup vu les terrils, je connaissais l’histoire minière. J’ai ensuite fait mes études à Strasbourg, et j’ai réalisé un stage dans une mission parlementaire sur la question, un peu par hasard. En descendant dans la mine, j’ai trouvé ça incroyable. Ça aurait été difficile de faire une enquête de terrain dans le Pas-de-Calais… Rajouter une couche émotionnelle de lien avec le territoire aurait sûrement compliqué ma thèse. Ici j’ai eu affaire à des thématiques proches de l’attachement, mais sur un territoire différent. Cela me permettait aussi de se rapprocher des enquêtés. Bien sûr, on refait un peu l’histoire de nos projets de recherche a posteriori pour leur apporter de la cohérence…

Références

Barthe Yannick, Le pouvoir d’indécision. La mise en politique des déchets nucléaires, Paris, Economica, coll. « Etudes politiques », 2006.

Barthe Yannick, « Rendre discutable. Le traitement politique d’un héritage technologique », Politix. Revue des sciences sociales du politique, 57, 2002.

Blanck Julie, La gestion des déchets radioactifs en France, entre changements organisationnels et construction de solutions techniques irréversibles (1950-2014), Thèse de doctorat en sociologie, Paris, Institut d’études politiques de paris-Sciences Po, Centre de sociologie des organisations (CNRS/ Sciences Po), 2017.

Boudia Soraya, Angela N. H. Creager, Scott Frickel, Emmanuel Henry, Nathalie Jas, Carsten Reinhardt et Jody A. Roberts, Residues: Thinking Through Chemical Environments, New Brunswick, Rutgers University Press, 2021.

Colonna Valevski Cardial Julianna, Comment le sous-sol devient un dépôt – ignorance, dénomination et vide dans le cas de C4000 (Lacq-France), Thèse de doctorat, Pau, 2024.

Corteel Delphine et Stéphane Le Lay, Les travailleurs des déchets, Toulouse, Erès, 2011.

Denis Jérôme et David Pontille, Le soin des choses, Paris, La Découverte, coll. « SH / Terrains philosophiques », 2022.

Kinchy Abby J., Roopali Phadke et Jessica M. Smith, « Engaging the Underground: An STS Field in Formation », Engaging Science, Technology, and Society, vol. 4, 1er mars 2018, p. 22-42.

 

Séance du 8 novembre : Actualités de la recherche en droit de l’environnement

Oriane SULPICE : La transition des territoires de montagne du point de vue du contentieux des documents d’urbanisme des stations de ski

Oriane Sulpice est maîtresse de conférences en droit public à Lyon 2. Elle présente sa thèse réalisée à Grenoble (laboratoire CERDAP) et soutenue en décembre 2020, portant sur les contentieux des plans d’urbanisme dans les stations de ski.

Pour sa thèse de droit public, Oriane Sulpice a travaillé sur les stations de ski françaises alpines, des espaces propices aux conflits d’aménagement du territoire, dans lesquels le Tribunal administratif (TA) de Grenoble joue un rôle central. Elle a choisi d’étudier les contentieux liés aux Plans locaux d’urbanisme (PLU) des 12 communes qui abritent les plus grandes stations de ski des Alpes françaises, dans les départements de l’Isère, de la Savoie et de la Haute-Savoie. Elle souligne le fait que les contentieux liés aux plans d’urbanisme ont largement augmenté au cours des vingt dernières années. Parmi les cas traités par le TA de Grenoble, la proportion de contentieux en urbanisme de l’environnement (12%) est bien supérieure à la moyenne nationale. Pour étudier les effets des contentieux sur les PLU en tant qu’instruments d’action publique, Oriane Sulpice s’est appuyée sur une approche antiformaliste du droit (Garcia Villegas, 2015), ancrée dans l’idée que le droit n’est pas neutre, ni indépendant du politique. Elle a également mobilisé les approches lascoumiennes du droit, qui établissent la nécessité pour les politiques publiques d’une production normative continue (Lascoumes et Serverin, 1988). Ses travaux s’inscrivent enfin dans une approche critique du droit (Harvey, 2018).

Oriane Sulpice pose avec sa thèse les questions suivantes : Quelle est l’influence des décisions de justice sur la conduite des PLU ? Est-ce une contrainte rigide ? Existe-t-il des pratiques permettant de s’en départir ? Son hypothèse principale est que les décisions infléchissent les actions mais forment également une ressource pour les acteurs. Pour mener cette recherche, Oriane Sulpice a réalisé d’une part des observations non-participantes dans les Directions départementales des territoires (DDT), et d’autre part des entretiens avec des types d’acteurs différents (responsables d’urbanisme des communes, agents des DDT, urbanistes et avocats qui accompagnent les communes).

La thèse d’Oriane Sulpice montre, dans un premier temps, que les plans d’urbanisme sont de moins en moins contraignants. Le code d’urbanisme, révisé de nombreuses fois dans les années 2000 et 2010, est moins protecteur de l’environnement. Le contentieux de l’urbanisme a aussi été régulièrement réformé pour éviter les annulations totales, tandis que les possibilités d’annulation partielles se sont multipliées. Les actes illégaux subsistent et sont même régularisés. L’analyse des PLU montre que l’expansion urbaine est devenue le paradigme dominant du droit de l’urbanisme dans les stations de ski. Pour la chercheuse, ces dernières se présentent comme des « organisations productives territorialisées » (Fablet, 2015) qui se comportent en entrepreneurs urbains.

Dans un second temps, les résultats de sa thèse montrent la diversité des stratégies déployées par les communes. Généralement, elles voient leur PLU annulé plutôt pour des illégalités internes – c’est-à-dire que ce sont certaines dispositions du règlement du PLU qui posent problème, imposant un simple changement du contenu du PLU, par opposition à l’illégalité externe qui a pour conséquence une annulation totale. Face à ces annulations partielles, ou parfois totales, les communes déploient des stratégies variées permettant de contourner la décision de justice : élaboration de nouveaux PLU rapidement comme à Chamonix, recours à des cabinets d’urbanistes « pompiers » pour l’Alpe d’Huez… Les communes font des annulations une ressource pour renforcer leur appareil d’urbanisme.

La thèse ouvre des perspectives sur plusieurs plans. Les Schémas de Cohérence Territoriale (SCoT) apparaissent comme un nouveau terrain de résistance à l’échelle de l’intercommunalité. Par exemple, le SCoT de Tarentaise-Vanoise a consacré l’invention d’une « surface touristique pondérée », un instrument d’urbanisme permettant de répartir les surfaces touristiques, tandis que le SCoT de Maurienne a ajouté dix unités touristiques à celles déjà existantes (ce qui a donné lieu à une annulation par le TA de Grenoble). Par ailleurs, les travaux d’Oriane Sulpice interrogent les évolutions du droit de l’urbanisme en montagne, marqué par une érosion des principes de la loi montagne. Comme l’a montré Sabine Moulin (2023), le droit commun rattrape le droit de la montagne et se présente même comme plus ambitieux en termes d’environnement. Le droit de l’urbanisme en montagne serait-il devenu un droit de l’expansion urbaine ? Ces questions se posent encore plus vivement face aux nouveaux enjeux que représentent les Jeux Olympiques d’Hiver de 2030 dans les Alpes ou la réduction de l’enneigement.

Discussion

Peut-on dire que les communes deviennent ainsi de véritables entrepreneurs urbains ?

Oriane Sulpice : Du point de vue des investissements financiers effectués, c’est une réalité. Cela soulève un autre problème : celui de l’inadéquation entre la taille des communes et les budgets immenses qui leur sont alloués pour les stations de ski. Dans ce contexte, les cabinets d’urbanistes jouent souvent le rôle des services de l’État face aux communes.

Les contentieux plutôt environnementaux, s’ils ont lieux, trouvent-ils des issues favorables ?

S. : Les associations environnementales utilisent les arguments qui fonctionnent le mieux. Ces dernières années, c’est notamment la question du climat qui est mise en avant. Mais c’est parfois plus stratégique de s’attaquer aux éléments du droit, ce que font donc les associations.

Au final, est-ce que les contentieux empêchent le développement des stations de ski ?

S. : Pas réellement : les projets annulés réapparaissent sous une autre forme plus tard. Globalement, cela n’empêche pas le développement des stations. Certaines communes élaborent des PLU plus régulièrement, même si cela engage des frais importants, pour que l’annulation ne pose pas problème.

Est-ce que cela produit des formes d’apprentissage ou des évolutions stratégiques du côté des requérants comme la FNE et les associations environnementales ?

S. : La FNE arrive à porter des arguments qui sont innovants et nouveaux, comme la question des prévisions économiques. Cela permet parfois de faire annuler les permis de construire.

Sur le cadre théorique, pourquoi utiliser des auteurs considérés comme plutôt alternatifs dans le droit, comme Harvey ou Garcia Villegas ?

S. : Garcia Villegas intervenait à Sciences Po Grenoble pendant que j’y faisais mes études, c’est comme ça que j’ai connu ses travaux. Quant à Harvey, je suis arrivée par ses lectures à comprendre la nature du projet urbain. Il existe une dissonance cognitive entre le droit de l’urbanisme et le projet urbain, et Harvey y apporte une réponse. Le droit de l’urbanisme apparaît comme une matière non théorisée, une matière de praticien. Sa théorisation reste à construire : est-ce un droit qui permet l’harmonie de la vie en communauté, ou autre chose ?

Références

Fablet Gabriel, Entre performance de l’outil de production et pérennité de l’outil d’aménagement : le dilemme immobilier dans les stations nouvelles d’altitude, Thèse de doctorat, Université Grenoble Alpes (ComUE), 2015.

Garcia Villegas Mauricio, Les pouvoirs du droit, sans lieu, LGDJ, coll. « Droit et société », 2015.

Harvey David, Géographie de la domination, Paris, Editions Amsterdam, 2018.

Lascoumes Pierre et Evelyne Serverin, « Le droit comme activité sociale : pour une approche wébérienne des activités juridiques », Droit et Société, 9, 1988.

Moulin Sabine Marie, « La préservation de la montagne et le développement du tourisme La loi “ montagne ” rattrapée par le droit commun », dans La territorialisation du droit du tourisme, Boulogne-sur-mer, France, 2021.

Sulpice Oriane, « Le contentieux des documents d’urbanisme en station de ski comme reflet des conflits territoriaux dans les Alpes du Nord en France », Journal of Alpine Research | Revue de géographie alpine, 112-1 | 2024.

Sulpice Oriane, « L’écriture des plans locaux d’urbanisme par les urbanistes et les avocats : nouvelle expression de l’externalisation en matière juridique », Droit et société, n°112, 2022.

Rémy DUFAL : Le droit fiscal et financier de l’environnement au soutien de l’action publique

Rémy Dufal est maître de conférences en droit public à l’Université Lyon III.  Sa thèse, soutenue en décembre 2023, portait sur les incitations fiscales et financières à la protection de l’environnement. Il est également responsable d’unité juridique à la Métropole de Lyon sur les déchets, et membre du collectif Amorce qui réalise des publications sur les déchets et la fiscalité des éoliennes.

L’objectif de la thèse de Rémy Dufal était de faire un travail de mise en ordre des outils fiscaux et financiers développés par les acteurs publics pour orienter les comportements. Ces outils utilisent la carotte financière pour inciter à la préservation de l’environnement. Historiquement, le droit de l’environnement était plutôt marqué par une approche punitive ou contraignante, tandis que ces outils plus récents proposent un comportement à adopter et l’assortissent d’une récompense. La création des agences de bassin est un des premiers outils fiscaux du type, suivis par le principe « pollueur-payeur » dans les années 1970. Il existe également des instruments plus récents. Rémy Dufal souligne que de nouvelles lois et outils financiers sont créés chaque année, ce qui constitue une difficulté supplémentaire pour étudier le droit de l’environnement. Ces lois sont par ailleurs marquées par des jeux de pouvoir importants, et des ambiguïtés autour des objectifs attendus. Enfin, la thèse ayant débuté en 2017, le mouvement des Gilets jaunes a conduit le chercheur à ajouter les questions d’équité et d’acceptabilité sociale à son analyse.

Cette étude du droit de l’environnement a demandé à la fois un regard technicien et fiscaliste, pour comprendre le fonctionnement et les règles d’assiettes de chaque outil, et un regard environnementaliste plus conceptuel. La méthodologie adoptée reflète ce double regard. Rémy Dufal s’est ainsi appuyé sur les méthodes d’analyse économique du droit, mais aussi sur la psychologie sociale et cognitive, permettant d’interroger la prise en compte des biais cognitifs dans ces normes. Le périmètre des objets d’étude était volontairement indéterminé, pour pouvoir y ajouter les nouveaux instrumentés créés au fur et à mesure de la thèse.

Rémy Dufal a élaboré une typologie des différents types d’instruments. Il distingue d’une part les instruments « prix », qui reposent sur l’espoir d’un effet de détournement des consommateurs de ces types de produits, et d’autre part les instruments « quantité », caractérisés par un plafond délimitant une zone à ne pas dépasser, et dont l’objectif est de ne pas atteindre ce plafond pour pouvoir vendre les quotas restants. Parmi les premiers, Rémy Dufal cite la fiscalité environnementale, les redevances pour service rendu, les éco-contributions des filières à responsabilité élargie du producteur (REP) ou encore les aides publiques. Parmi les seconds, il compte les systèmes d’échange de quotas d’émission de GES, les certificats d’économie d’énergie, les unités de compensation ou encore le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.

D’un point de vue conceptuel, la thèse avait pour objectif d’identifier clairement la finalité du droit fiscal et financier de l’environnement, qui est présenté comme ancré dans l’incitation. S’agit-il d’orienter les comportements, pour réduire les pollutions, ou de produire des recettes en percevant les taxes ? Cette ambiguïté s’explique par le caractère aberrant de ce droit mixte : en droit fiscal, l’impôt est basé sur la capacité contributive, alors qu’en orientation des comportements il est basé sur la capacité polluante. Pour illustrer cette dimension paradoxale, Rémy Dufal prend l’exemple du principe pollueur-payeur, qu’il a analysé au cours de sa thèse comme marqué par une « inutilité juridique ». C’est un principe fourre-tout, mêlant orientation des comportements et responsabilité, avec une confusion entre l’amont et l’aval de la production. Il ne produit pas d’effet juridique, car il n’est pas mobilisé dans les contentieux par la jurisprudence, et est donc moins un principe normatif qu’un principe économique très large, utilisé dans les discours de l’action publique.

Rémy Dufal a aussi montré que les outils de marché, qui ont tendance à être plus mis en place depuis les Gilets jaunes, sont perçus comme plus acceptables que les outils publics à la fois par les acteurs civils et les acteurs économiques, tandis que la fiscalité est perçue comme une véritable contrainte.

Cette thèse ouvre plusieurs perspectives de recherches futures. De façon générale, comment aligner notre système fiscal et financier sur la lutte contre le changement climatique ? Faut-il environnementaliser les prélèvements traditionnels, ou au contraire travailler à l’articulation des incitations environnementales avec les autres instruments de l’action publique ? Comment concilier les impératifs environnementaux, sociaux (l’équité, l’acceptabilité) et les besoins de financement ? Les travaux de recherche actuels de Rémy Dufal tentent d’y répondre, en particulier le projet REP-ROGRAM de l’ADEME sur l’analyse de la gouvernance juridique et financière des filières REP.

Discussion

Comment as-tu construit ta typologie des outils fisco-financiers ? D’où vient-elle ? Pourrait-on imaginer d’autres instruments, par exemple ceux de transaction, qui ne passent pas par des prix ? Peut-on arriver à une typologie des instruments économiques et financiers complète ?

Rémy Dufal : C’est une typologie d’inspiration économique qui me paraissait assez adéquate. Je l’ai choisie pour mettre l’accent sur l’action publique : est-ce qu’elle fixe le prix elle-même ou est-ce qu’elle laisse le marché le définir ? D’un point de vue juridique, j’ai essayé de faire une autre typologie sur l’obligation ou non d’entrer dans la mesure financière. Si on prend l’exemple de la rénovation énergétique par exemple, on a un outil qui n’est pas obligatoire, mais qui le devient si on est une entreprise polluante. Cette distinction, difficile à établir dans certains cas, m’a permis de relativiser le caractère incitatif et contraignant des différents outils. Cela illustre finalement les degrés d’incitation de ces normes. Mon but était de prendre de la distance avec le discours des économistes, dans lequel tous les dispositifs sont traités comme s’ils avaient la même valeur juridique.

Quelle est la place du climat dans les politiques de l’Union Européenne ?

R. : Depuis 20 ans, le climat est l’objet environnemental prépondérant des politiques européennes, au point que cela permet parfois de justifier des régressions en matière de droit européen, notamment sur tout ce qui concerne les grands projets (directive habitat, directive oiseau…).

As-tu rencontré des situations dans lesquelles des instruments étaient prévus pour un objectif particulier mais ont eu des impacts sur d’autres secteurs ?

R. : Cette question s’est posée pour certains dispositifs fiscaux qui ont eu des effets négatifs, contraires aux effets environnementaux recherchés. C’est le cas, par exemple, au niveau des différentiels de taxation, qui conduisent à l’exonération du kérosène ou au fait que les agriculteurs payent moins de redevances aux agences de l’eau que les ménages.

Quels matériaux concrets as-tu utilisé dans ta thèse ?

R. : Pour mener une approche de droit positif, j’ai cherché les documents réglementant les dispositifs existants, mais aussi les documents politiques de type stratégie nationale, pour voir comment ces instruments étaient mobilisés dans les discours de l’action publique. J’ai également réalisé un important travail d’analyse sur la jurisprudence constitutionnelle du droit environnemental, pour voir comment ces instruments normatifs étaient interprétés.

Victoria Chiu : Le droit de l’eau – pollutions, accès, usage

Victoria Chiu est maîtresse de conférences en droit public à l’Université Lyon III. Après une thèse soutenue en 2014 sur le droit de l’eau en France, en Italie et en Espagne, elle a mené des recherches de droit comparé sur la justice environnementale. Elle travaille actuellement sur des projets portant sur l’accès à la justice environnementale des peuples autochtones, et sur les effets de l’urbanisation dans les plaines alluviales. Sa communication a porté sur la contamination de l’eau aux PFAS dans la Vallée de la Chimie (région lyonnaise).

Dans le cadre de ses recherches sur la pollution de l’eau, Victoria Chiu s’est intéressée à la pollution aux PFAS dans la Vallée de la Chimie. Elle souligne que ces polluants sont encore largement méconnus du grand public, même si le film Dark Waters (Todd Haynes, 2019) ou la série documentaire Vert de rage (Martin Boudot et Mathilde Cusin, 2018-2024) les ont mis en lumière. La chercheuse rappelle la chronologie de la prise en charge politique de ce problème environnemental et sanitaire.

À l’échelle européenne, la réglementation est rudimentaire : 20 types de PFAS sont pris en compte, alors que certains scientifiques estiment que leur nombre se situe entre 4000 et 12000. La modification récente de règlements, qui s’appliquera à partir de 2026, interdit leur présence dans les textiles ou les chaussures par exemple. Certains États se mobilisent pour les interdire totalement, comme l’Allemagne ou les Pays-Bas. À l’échelle nationale, la prise en compte du problème tarde. Le premier rapport publié sur le sujet en France date de 2022. Une mission gouvernementale a par la suite été créée, sous l’égide du député du Rhône Cyrille Isaac-Sibille. Celui-ci a remis son rapport public au Premier Ministre le 4 janvier 2024, intitulé « PFAS : pollution et dépendance. Comment faire marche arrière ? » Les recommandations formulées dans le rapport ont été suivies d’une proposition de loi « visant à protéger la population des risques liés aux substances per- et polyfluoroalkylées » (n°161), déposée en février 2024 et toujours en discussion à l’Assemblée nationale à ce jour.

Dans la Vallée de la Chimie, des niveaux élevés de pollution et une forte médiatisation ont conduit à des actions civiles contre les entreprises responsables. Victoria Chiu retrace le contentieux qui oppose entre des associations et les entreprises Arkema et Daikin. En 2023, dix associations et requérants individuels déposent une requête auprès du procureur de la République afin de demander des sanctions contre les deux entreprises et un référé pénal environnemental au juge pénal. Cette disposition, créée par le Code de l’environnement, est une procédure d’urgence qui permet au juge pénal d’ordonner la suspension d’une activité polluante. La procédure échoue cependant car le juge pénal estime les conditions d’applications non réunies, tandis qu’Arkema assure respecter les prescriptions préfectorales.

Des acteurs publics locaux, élaborent une stratégie légale différente : en mars 2024, la Métropole de Lyon assigne Daikin et Arkema en référé afin que le juge judiciaire désigne un expert indépendant. Celui-ci établirait la part de responsabilité des deux sociétés en matière de pollution aux PFAS. Le 2 août 2024, un collège de trois experts est nommé par ordonnance, avec la mission de statuer sur la responsabilité de la présence de polluants éternels dans les eaux de la plateforme industrielle de Pierre-Bénite. Une fois les conclusions rendues, d’ici décembre 2025, elles pourront être mobilisées lors d’autres contentieux. Elles constitueront un outil légal dans le droit des PFAS. La question de la responsabilité est ici complexe : la Métropole de Lyon est la collectivité responsable de la potabilité de l’eau, or la dépollution entraîne des coûts conséquents (estimés à plusieurs millions d’euros pour Lyon), l’expertise a donc pour objectif de contraindre la participation financière des entreprises à la dépollution.

Enfin, des décisions de justice administrative qui peuvent être considérées comme novatrices ont été rendues pour sanctionner les entreprises polluantes. C’est le cas de la procédure de référé du 20 juin 2024, intitulée « Bien vivre à Pierre-Bénite », déposée par une association de riverains afin de contester un arrêté préfectoral autorisant la création d’une nouvelle usine de polymères Daikin à Pierre-Bénite. Le collectif demandait la réalisation d’une étude d’impact environnemental. Le jugement rendu par le Tribunal administratif y a répondu favorablement, par la suspension de l’arrêté préfectoral et une demande d’étude d’impact. Victoria Chiu souligne que cette décision est une véritable innovation, car le juge a choisi de considérer l’impact cumulé des émissions industrielles de PFAS dans la zone (unités Daikin mais aussi Arkema), puisqu’aucun site ne dépassait à lui seul les valeurs de références. La bataille judiciaire est toujours en cours, mais c’est une première sur la question des PFAS.

Discussion

La notion de seuil pour les perturbateurs endocriniens n’est-elle pas difficilement pertinente ? Existe-t-il d’autres outils en droit actuellement pour mesurer la pollution ?

Victoria Chiu : Non, dans le droit actuel la pollution n’est mesurée que par l’effet de seuil. L’effet cocktail, dû au cumul des polluants, n’est pas non plus pris en compte. Lorsque certains PFAS sont interdits, dans l’UE, c’est uniquement parce qu’on a des solutions alternatives pour les secteurs économiques concernés. L’autre problème de la régulation existante est que les seuils varient en fonction des pays ou des continents. En Europe, les seuils sont relativement souples par rapport à l’Amérique du Nord. C’est pour ces difficultés de réglementation que certains collectifs citoyens demandent par ailleurs la reconnaissance de la personnalité juridique des fleuves, afin de mieux garantir la qualité de l’eau.

En quoi le cas des PFAS est innovant du point de vue du traitement juridique des conséquences de l’activité industrielle ? Si on s’intéresse à l’industrie nucléaire par exemple, la question de l’établissement de normes de qualité des déversements passe par des procédures d’évaluation du risque, et ce n’est pas linéaire par rapport au contenu des effluents en polluants. Dans les questions d’eau, existe-t-il des formes d’évaluation par le risque ?

V : Non, pas du tout. Comme c’est un sujet assez nouveau, mal connu par les scientifiques eux-mêmes, le droit ne prend pas encore en compte toutes ces questions. On commence seulement à construire le cadre réglementaire. Le caractère innovant des PFAS, c’est justement l’incertitude globale. On ne connaît pas le produit en lui-même, ni ses effets sur la santé et l’environnement. À un moment donné, il faudra inévitablement mobiliser le principe de précaution. C’est un principe qui pose des difficultés particulières en droit de l’environnement, car il a rarement permis d’annuler des décisions administratives, alors même que c’est un principe constitutionnel. Pour le déploiement de la 5G par exemple, cela n’a pas fonctionné. Sur ces questions, on peut lire l’article de Jean-Baptiste Fressoz sur la « libéralisation des choses environnantes »[1].

[1] Fressoz, J. B. (2009). « Circonvenir les circumfusa. La chimie, l’hygiénisme et la libéralisation des « choses environnantes »: France, 1750-1850. » Revue d’histoire moderne et contemporaine, (4), 39-76.

 

Séance du 15 novembre

Pauline Massé : La mine ou l’ours ? Repaires de l’imaginaire dans le conflit minier de Salau

Pauline Massé est doctorante en géographie à l’Université Lumière Lyon 2 (EVS), sous la direction de Christian Montès (EVS, Lyon 2) et Rémi Bénos (GEODE, Institut national universitaire Champollion). Lors de cette séance de séminaire commune de l’Atelier 2 et de l’Atelier 6, elle a présenté ses travaux de recherche.

Dans cette thèse, Pauline Massé s’intéresse à « l’interface entre aménagement de la nature et émancipation sociale », à partir de la politique de renouveau minier en France métropolitaine et du cas de la réouverture de l’ancienne mine de Couflens-Salau. Le cas conflictuel de la mine de Salau montre que la politique de renouveau minier, qui tente de reterritorialiser l’extraction, remet au jour la question des réseaux métaboliques soutenant les modes de vie modernes. La mine est située dans le pays du Couserans, en Ariège, au pied de la frontière franco-espagnole. Le point de départ de l’étude est l’octroi d’un permis exclusif de recherche de mines (PERM) à l’entreprise Variscan Mines, « start-up minière », dans le cadre de la politique de renouveau minier. Demandé en 2016 et accordé, le PERM a été suspendu en 2021 sous le double effet de mobilisations habitants et des indécisions de l’État. Le conflit minier a formé l’objet initial d’une enquête ethnographique menée entre 2018 et 2022. L’enquête classique, avec entretiens ouverts et observations, est complétée par un « tournage-enquête » dont la réalisation est en cours de finalisation, permettant d’interroger la relation entre la « géographie imaginée » (B. Debarbieux) et la réalité. Pour Pauline Massé, le conflit minier constitue un théâtre d’affrontement de deux « géographies imaginées » du Couserans, nourries de « repaires ». Le concept de repaire, forgé par la géographe, matérialise l’habiter dans l’espace des individus et groupes sociaux, et sont au cœur des processus de politisation habitante. Le conflit minier devient ainsi un combat pour faire valoir ses repaires.

La communication de Pauline Massé est organisée en trois temps : après une mise en contexte présentant la place conflictuelle de l’environnement dans le territoire du Couserans, elle développe sa proposition conceptuelle originale de « repaire », puis l’utilise pour analyser les imaginaires territoriaux ambivalents qui caractérisent le Couserans.

Pauline Massé montre dans un premier temps que le territoire du Couserans est pris dans un rapport ambivalent avec l’environnement, entre extraction et protectionnisme. Le Couserans est un territoire rural de faible densité, où la déprise agricole s’est traduite par une recolonisation forestière des versants. L’exode rural depuis le début du XXe siècle a été légèrement compensé par l’arrivée de deux types de populations après mai 1968 : des néoruraux et des mineurs. La mine de tungstène de Salau a été ouverte en 1971, et exploitée jusqu’en 1986. Dans la mémoire collective locale, cette période d’activité minière correspond à « l’âge d’or » de la vallée, car elle a permis un désenclavement relatif du territoire. Aujourd’hui, quelques traces de la mine subsistent dans le paysage : le « carreau 1230 » (l’entrée de la mine), deux importants terrils, des « digues » constituées de sacs de déchets enterrés. Le territoire est aussi caractérisé par plusieurs plans de protection : le Parc Naturel Régional des Pyrénées-Ariégeoises, deux Zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF), une Zone de Protection Spéciale du réseau Natura 2000. L’ours slovène a aussi été réintroduit depuis les années 1990, conduisant à des frictions importantes avec la filière pastorale, historiquement prégnante dans la région. L’ours constitue, selon Pauline Massé, un second sujet de tension dans le Couserans, après la mine. Le Couserans est donc marqué par des politiques étatiques entre protectionnisme et extractivisme, typique du registre de « l’exploitection » de la modernité (Stépanoff, 2021).

Dans un second temps, Pauline Massé développe sa proposition conceptuelle de repaire décrivant les géographies imaginées des habitants. Pauline Massé a proposé le concept de « repaire » à la suite de l’enquête ethnographique et du tournage-enquête, dans lesquels les habitants mobilisaient les transformations du paysage pour justifier leur positionnement contre la mine. La notion se situe à l’interface entre plusieurs concepts : la « prise » d’Augustin Berque (1987), l’ « attachement au lieu » de Léa Sébastien (2016), l’ « imaginaire » de Christine Chivallon (2008) ou de Bernard Debarbieux (2016). Les « repaires » de Pauline Massé sont des éléments du milieu tel qu’il est saisi par les individus, composant une carte mentale intime du monde, et conduisant les habitants à se politiser. Dans le tournage-enquête, Pauline Massé a par exemple été amenée à filmer les chasseurs d’une société de chasse, composée d’anciens mineurs ou de fils d’anciens mineurs. Lors du plan de chasse qui précède la sortie, ils décrivent les forêts avec leurs propres repères : le hêtre, le merisier, « là où ça pète à chaque fois »… Ces « repaires » leur permettent d’avoir une carte sensible partagée de la forêt. Pour Pauline Massé, le partage de repaires fonde le partage de milieux, de pratiques et d’une géographie imaginée. Elle postule dès lors que les « repaires » sont au cœur des processus de politisation habitante, puisque celle-ci demande de matérialiser à l’échelle collective des expérience sensibles intimes. Pour Pauline Massé, la lutte pour la mine de Salau revèle de la capacité pour chaque bord à incarner ses idées, à symboliser le social dans les objets géographiques du territoire.

Dans une dernière partie, Pauline Massé décrit les imaginaires géographiques dans le Couserans : un « imaginaire prémoderne » et un « imaginaire néorural ». L’imaginaire « prémoderne » est porté par les anciens mineurs, les chasseurs, les agriculteurs et les bergers. Il est caractérisé par une critique virulente de l’écologie telle qu’elle est portée par l’Etat et les associations environnementales. Le conflit minier a conduit ces acteurs à se politiser publiquement en faveur de la mine, en lien avec la lutte contre l’ours. Cet imaginaire prémoderne est aussi caractérisé par une angoisse de l’ensauvagement. Dans les entretiens, les enquêtés mobilisent toujours le paysage et la recolonisation de la forêt comme argument central pour rouvrir la mine, devenue un repaire. La lutte pour la mine devient une lutte pour la sauvegarde du monde rural prémoderne. Les militants pro-mines sont souvent engagés dans des processus de patrimonialisation de leur territoire, comme le festival Autrefois le Couserans. Dans l’imaginaire « néorural », la montagne est plutôt vue comme un refuge face à l’urbanité, un vecteur de liberté et d’autonomie, tandis que la mine symbolise le capitalisme et la destruction de la nature. La montagne sauvage est perçue comme un lieu de résolution de la crise environnementale. Ces habitants ont tendance à entrer dans logiques de patrimonialisation de la nature, par exemple en semant des fleurs endémiques près de la mine. Ils sont relayés par des acteurs puissants, comme le Comité écologique ariégeois qui a obtenu l’interdiction des quads dans les années 1990 ou la protection du gypaète barbu. Les « anti-mines » connaissent la législation environnementale et possèdent un un capital social et culturel leur permettant de mobiliser la loi, ce qui leur permet de mieux politiser leurs repaires que les « pro-mines ». Par exemple, ils invoquent la protection du gypaète barbu pour empêcher les sondages en hélicoptère autour de la mine. Il existe donc des inégalités dans les processus de politisation, qui s’expliquent aussi par l’emprise matérielle importante des néoruraux sur le territoire (ouverture de ressourceries, cafés-restaurants, gîtes d’étape du GR10…). Les repaires néoruraux finissent par remplacer les repaires prémodernes, y compris dans l’espace médiatique.

En conclusion, la chercheuse souligne que les repaires sont le versant matériel de ce que les individus se reconnaissent en commun dans des situations de conflit. Par conséquent, analyser ces repaires permet de se placer au cœur des enjeux de pouvoir et d’émancipation, de la construction politique de l’habiter, et d’une géographie imaginée. Toutefois, comme la seconde partie de la thèse de Pauline Massé le montre, les militants des deux bords se rejoignent parfois : sur l’idée que la forêt progresse trop, mais aussi sur la volonté de recréer des liens métaboliques, dans une perspective d’autonomie.

Discussion

Est-ce qu’il y a également des débats d’ordre sanitaire sur les questions de maladie, de pollution ?

Pauline Massé : La question des pollutions a mobilisé l’ensemble des militants, mais sans faire cause commune. Les anti-mines se sont mobilisés contre la pollution de l’amiante, liée à l’exploitation de tungstène. Dans le cadre du PERM, l’entreprise niait la présence d’amiante, or les habitants se sont mobilisés et ont obligé l’État à faire réaliser une expertise sur l’amiante, publiée après la suspension du projet minier. Les mobilisations contre les pollutions sont à ce titre assez emblématique, puisque les habitants ont en permanence mobilisé les services de l’État, notamment la préfecture. Sur le Cougnets, affluent de la Garonne, la question était de savoir s’il y avait pollution de l’eau et à quel moment, mais aucune analyse n’a été faite. Cela rejoint toute la gestion minière en France : il y a une omerta sur la pollution minière, et rien n’est fait. L’incertitude liée à la pollution a encore renforcé le conflit : pour les pro-mines, l’amiante n’était pas dangereux. Au final, des analyses ont été faites dans les stériles, par carottage, mais pas ailleurs. Les résultats ont montré qu’ils contenaient beaucoup d’amiante, qui a formé une croûte ferrugineuse empêchant a priori la volatilisation de l’amiante. Pour autant, aucune signalisation du secteur n’a été faite, alors que le GR10 y passe.

Est-ce qu’il y a vraiment des catégories de repaires différents, et est-ce qu’il y a des batailles pour des repaires précis ?

M.: La mine est un bon exemple, qui montre que les personnes se saisissent différemment des lieux en fonction de leurs connaissances. Les anciens mineurs décrivent tout ce qu’il se passe. Pour fixer le repaire, il y a eu un projet de musée de la mine, mais qui a été abandonné dans les années 1990. Il devait être construit sur des terrains appartenant à la fédération de la chasse, qui les avait eus pour 1 euro symbolique. Sinon, je n’ai pas connaissance d’autres repaires qui se confrontent.

Comment différencier le concept de repaire du « géosymbole » de Joël Bonnemaison ?

M.: J’ai découvert les géosymboles après la formalisation du concept de repaire, et c’est vrai que ça correspond beaucoup. Mais j’étais intéressée par la dimension politique des repaires, peu explorée par Debarbieux et Bonnemaison, et qui correspond plus aux « attachements territoriaux » de Léa Sébastien.

Où en est le conflit minier ?

M.: Je n’ai pas d’information sur le projet actuellement. Le permis de recherche est suspendu et toujours en attente d’une décision du conseil d’État. Actuellement, les mêmes acteurs ont déposé un nouveau permis de recherche auprès de l’État, qui est en cours d’instruction. Mais ils ont aussi fait des conférences de presse et invité les communes concernées, plus nombreuses que le précédent permis (jusque dans la haute Ariège, une zone totale d’environ 100km2). Je reçois des informations de la part de la commune mais c’est tout.

Il y a donc des inégalités de politisation, mais est-ce qu’il y a des liens entre les pro-mines et l’entreprise Variscan, sachant que l’entreprise est sûrement plus puissante ?

M.: Il existe beaucoup de liens avec l’entreprise, dans les deux sens. L’entreprise s’appuie sur une communauté d’anciens mineurs pour son projet, y compris au sein de l’État. Dans le cadre de la politique du renouveau minier, tous les PERM ont finalement été annulés car les habitants se sont mobilisés. Il n’y a qu’à Conflans qu’il a survécu car c’était le seul où il y avait des pro-mines. En pratique, l’entreprise a invité les mineurs au restaurant, organisé des visites de la mine, financé via des fondations la restauration de l’église… Elle s’est appuyée sur des anciens mineurs pour la connaissance de la mine, ce qui a facilité les démarches de recherche. L’entreprise avait un projet de carte départementale géologique de l’Ariège, elle est venue consulter les anciens mineurs pour leur demander où ils pensaient qu’il y avait des mines et des ressources minières dans le département. Tout cela fait que, les pro-mines ont peut-être eu moins besoin de faire valoir leurs intérêts, mais ils ont quand même moins de capital social. Certains anciens mineurs m’ont d’ailleurs dit qu’ils avaient eu l’impression de se faire utiliser par l’entreprise.

Comment avez-vous eu accès à ce terrain ? Quel a été votre positionnement en tant que chercheuse ?

M.: Concernant mon positionnement, cela n’a pas été facile, parce que c’est une lutte virulente sur un petit territoire où tout le monde se connaît. J’ai passé beaucoup de temps là-bas et je suis allée voir tout le monde, sans a priori. En tant que chercheuse on peut se permettre d’aller voir tout le monde et d’expliquer pourquoi on le fait. Avoir une logique de compréhension et d’empathie, c’est la clé. On est face à des personnes qui se détestent entre elles, et qu’on voit de façon égale. J’apportais de la clarté en expliquant que j’accordais de la légitimité à chacun. J’ai aussi habité là-bas pendant plusieurs années, en tout presque 4 années. J’ai obtenu la confiance des gens sur le long terme. Et le film a amené une compréhension complémentaire sur ce qu’on faisait là-bas : toutes les personnes filmées avaient été vues en entretien. C’est aussi plus facile d’expliquer qu’on fait un film qu’un article…

Pour la réouverture de la mine, y a-t-il eu de la communication sur la mine « propre » ?

M.: Oui, il y a eu tout un discours sur la mine « propre et durable ». Tout le récit du projet minier est lié à cela. Variscan avait d’ailleurs changé son nom pour Mines du Salat, avec une imagerie particulière. Ce discours sur la mine propre et durable est aussi appuyé sur l’idée que, parce qu’on fait la mine chez nous, avec les législations environnementales, elle sera plus propre qu’ailleurs. Un haut-lieu des porteurs de ces projets est une mine de tungstène en Autriche, présentée comme propre et durable, préservant l’environnement.

En tant que chercheur.euse, il faut en théorie rester le plus neutre possible dans son enquête, sans prendre parti. En ayant autant d’informations sur les deux bords, quel est votre avis et votre ressenti ?

M.: Je suis arrivée là-bas en voulant lutter contre les mines, dans l’idée que mes recherches allaient servir à cela. J’étais habituée à des collectifs horizontaux, alors que l’association sur place étaient très orientée sur la loi et l’écologie. On présente souvent le renouveau minier comme un facteur d’indépendance économique, mais j’ai vu que ça s’inscrivait beaucoup plus dans une expansion de l’extraction des métaux globalement (les métaux sortent de France puis font le tour du monde). Je suis arrivée avec le discours de repenser les chaînes de valeur et la consommation globale, mais ça n’intéressait pas les associations sur place en Ariège, donc je ne leur étais pas utile. La politique de renouveau minier s’appuie aussi sur une élite minière, c’est une idée avec laquelle je suis arrivée, mais ce n’était pas forcément bien perçu. J’ai découvert les militants pro-mines et des choses que je ne connaissais pas, notamment des rapports de classes et des dominations sociales, et c’est ce que j’aimerais réellement privilégier dans mes recherches. J’ai compris que la réouverture de la mine n’était pas tellement un enjeu économique qu’un enjeu territorial, avec la volonté de faire vivre ses lieux de vie. C’est pour ça que je voulais faire le film, pour montrer aux habitants ce qu’ils avaient en commun : le territoire, mais aussi les pollutions. Les gens se déchirent pour des problématiques de l’extérieur, qui ne leur appartiennent pas.

Comment ce conflit croise des questions de vote ou de positionnement électoral ?

M.: L’Ariège est en train d’être gagnée par le Rassemblement National, mais c’est très récent. Jusque là c’était plutôt un territoire de gauche, historiquement du Parti Socialiste. La France Insoumise a gagné les avant-dernières élections, mais sur des questions comme l’ours le parti n’arrive pas à se positionner, voire prônent la réintroduction, donc il a à mon avis perdu partisans en Ariège. En général, les pro-mines votent plutôt PS, les anti-mines plutôt LFI.

Comment l’autochtonie est-elle mobilisée comme ressource dans le conflit ?

M.: L’autochtonie est une question importante, qui structure le conflit entre « autochtones » et néoruraux. C’est un positionnement qui est mobilisé des deux côtés, autant par les néoruraux que par les anciens habitants. Les néoruraux le revendiquent en disant qu’ils l’ont choisi. Mais en creusant on comprend que ce n’est pas tant le registre de l’autochtonie qui rentre en compte que celui des rapports de classe qui sont ancrés dans des imaginaires de la nature. J’ai choisi d’étudier les imaginaires justement pour dé-cloisonner les « autochtones » et « néoruraux », catégories rurales qu’on entend partout. En même temps, il y a beaucoup de trajectoires particulières qui brouillent les frontières des catégories : par exemple, un ancien mineur qui a tout pour être autochtone alors que c’est un portugais immigré. En entretien, une personne enquêtée m’a dit que j’étais Ariégeoise alors que ça faisait 3 ans que je venais. Donc les catégories comme l’autochtonie n’ont pas forcément de réalité.

On comprend qu’il y a deux politiques étatiques sur la nature : extractiviste et protectionniste. Comment cela se passe dans les services de l’État, notamment la DREAL ?

M.: Je pourrais très peu parler de la DREAL, c’est le seul service qui a refusé de me donner accès (seulement un entretien de 20 minutes). J’ai plutôt eu accès au Bureau en charge de la gestion des ressources minières, mais à l’échelle de l’État central. La présence de l’État est assez faible à l’échelle locale, elle s’observe surtout par les politiques de l’État central comme celles sur la mine et l’ours. Elles jouent aussi à l’échelle locale sur la question du pastoralisme, à l’interface de ces politiques. Je peux parler du Bureau en charge de la gestion des ressources minérales, qui existe depuis les années 1990. C’est une ancienne administration des mines qui a été mise dans le Ministère de la transition écologique, dans un petit bureau. Le directeur de ce Bureau vivait mal sa situation à l’époque de l’entretien : c’était la seule mouvance extractionniste dans un ministère protectionniste et axé sur protection de la nature. Mais il a été l’un des piliers du renouveau minier, très volontariste, et a participé au perçage de cette politique au sein des services de l’État. En fait, la question du renouveau minier est arrivée au sein de l’État français par des trajectoires et initiatives individuelles, sans politique globale volontariste. Quand l’Union Européenne a appelé à l’indépendance énergétique, la France a mobilisé un haut fonctionnaire pour réunir les grandes industries et comprendre les problèmes d’approvisionnement. La politique du renouveau minier, ce sont des anciens du BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières), qui ont été formés dans les années 1970-1980, et sont arrivés sur le marché du travail au moment de la fermeture des mines, d’où une forme de nostalgie. À la fin des années 2010, ces fonctionnaires ont vu qu’il y avait un enjeu, avec le moyen de se positionner. La déclaration d’Arnaud de Montebourg en 2012 a donné l’assise politique pour faire valoir le projet. Mais ce mouvement n’a à l’époque reçu aucun soutien de la part des élus, Macron par exemple n’en a pas parlé. Il y a eu un conflit avec le Ministère de l’Environnement et des mobilisations locales, tandis que les entreprises disaient qu’elles n’en avaient pas besoin. Pour autant, j’ai l’impression qu’il y a une deuxième vague actuellement et qu’elle fonctionne parce que la politique a percé au sein de l’État. Je vois qu’il y a beaucoup de permis miniers qui ont été déposés, par exemple la mine de lithium dans l’Allier : le permis a été déposé sur une ancienne carrière de kaolin, invisible sur le territoire, il n’y a pas eu de mobilisations et l’entreprise a fait ses recherches sans problèmes. Aujourd’hui la politique de renouveau minier est bien relancée, y compris en Ariège.

D’un côté, il y a des personnes qui aspirent à une situation passée, et de l’autre des personnes qui craignent la situation future : à quel point penses-tu que construire un récit alternatif qui donnerait un imaginaire commun à ces groupes-là est envisageable ? Comment le film pourrait être un support pour ça ?

M.: C’est assez compliqué, mais ce qui me pousse un peu à y croire est le fait que les pro-mines ont une expérience très sensible de la mine. Leur argumentaire est qu’ils veulent d’abord un permis de recherche pour voir ce qui serait fait. Ils ont décidé de faire confiance à l’entreprise plutôt que de tout de suite refuser et critiquer la mine. Mais ce qui n’est pas dit est qu’une fois que le permis de recherche est accordé, le permis d’exploitation est accordé d’office si on trouve de quoi exploiter. Moi j’avais l’impression qu’il y avait quelque chose de commun à jouer sur les pollutions. Ils commencent à y réfléchir. Les habitants posent surtout la question de l’avenir de leur territoire : qu’est-ce qu’on peut faire de ce territoire très enclavé, impossible à mécaniser, où l’agriculture est quasi impossible ? J’espérais provoquer une réflexion par rapport à l’ours, qui pour moi est la deuxième chose qui vient mettre en péril l’activité humaine sur ce territoire, le pastoralisme. Beaucoup d’éleveurs ont arrêté à cause de l’ours, y compris des jeunes, car ils ont perdu des bêtes. Cela permet de réfléchir de façon plus générale aux formes de vie possible sur ces territoires. La position des éleveurs, qu’on a filmée aussi, est intéressante : ils ne se sont pas positionnés contre la mine car ils appartiennent plutôt au monde des pro-mines, mais ils ont des réserves quant au nouveau projet. C’est un positionnement qui n’est pas idéologique, mais ancré dans leur expérience de ce fond de vallée.

Quelle est la situation de l’ours ? Pour les randonneurs ?

M.: On pense qu’il y en a 115. Dans les villages en altitude, on a régulièrement des ours qui font les poubelles. Les habitants nous alertaient sur le risque. Il y a un chasseur qui s’est fait attaquer et a dû en abattre un, il a été gravement blessé. L’ours suscite des discours très forts et critiques des deux parts. Il devra être pris en compte.

Existent-ils des liens entre l’imaginaire prémoderne et les mouvements régionalistes, sachant que Catalogne est proche ?

M.: S’il y a une chose que partagent les pro-mines et les anti-mines, c’est l’image de la résistance contre l’État central. La mémoire de la Guerre des Demoiselles début XIXe (lutte contre le nouveau Code forestier) est omniprésente, tout le monde m’en a parlé dans les entretiens. Mais cela reste réduit.

Est-ce que le terme de repaire était déjà employé par les acteurs ? Quelle est son utilisation dans les langues régionales ?

M.: Je n’ai pas cherché la notion de repaire dans les langues régionales, le terme ne m’est pas venu par le terrain. J’étais partie sur un cadrage mésologique, mais j’ai trouvé que c’était difficile de s’en servir pour faire du terrain, concrètement. Pour qualifier les lieux vécus, j’ai pensé aux repères, cherché l’étymologie et suis tombée sur le repaire.

Est-ce que votre film sera disponible bientôt ?

M.: Il est en cours de réalisation, et comme c’est complètement autoproduit et autofinancé, ça prend du temps. Je pense que ça sera l’année prochaine, avec l’idée de faire des projections dans des lieux associatifs, et peut-être de le laisser en accès libre sur Internet.

Qu’est-ce qu’il y a dans les sacs « digues » ?

M.: Les roches d’excavation étaient concassées, puis passées dans des bains chimiques dans la laverie, et de là sortait un concentré de tungstène. Donc ce qui est dans les sacs, c’est tout ce qui reste : les roches passées par les bains chimiques. On parle de stériles, mais ce sont des roches traitées chimiquement, donc qui présentent des risques pour la santé et l’environnement. Il y aurait de l’arsenic, de l’ammoniaque, une odeur de soufre…

Il y a surtout des hommes dans votre propos : quelle est la place des femmes dans ces luttes ?

M.: Au contraire, il y a beaucoup de femmes ! Dans le film, il y en a presque plus que d’hommes. Mais c’est vrai que les directeurs des associations sont des hommes à chaque fois, tandis que les femmes font le travail administratif, etc. On peut noter cependant que le groupement pastoral est présidé par une femme.

Références

Berque Augustin, « Milieu Et Motivation Paysagère », L’Espace géographique, vol. 16, no 4, Editions Belin, 1987, p. 241-250.

Chivallon Christine, « L’espace, le réel et l’imaginaire : a-t-on encore besoin de la géographie culturelle ? », Annales de géographie, vol. 660661, no 2, Armand Colin, rubrique « Anthropologie », 2008, p. 67-89.

Debarbieux Bernard, L’espace de l’imaginaire. Essais et détours, Paris, CNRS éditions, 2015.

Sebastien Léa, « L’attachement au lieu, vecteur de mobilisation collective ? », Norois. Environnement, aménagement, société, no 238-239, Presses universitaires de Rennes, 17 octobre 2016, p. 23-41.

Stépanoff Charles, L’animal et la mort. Chasse, modernité et crise du sauvage, Paris, La Découverte, 2024.

Séance du 17 janvier 2025 :

Étienne DUFOUR – La disparition des politiques biogéochimiques circulaires

Actuellement postdoctorant à l’Université de Reims, Étienne Dufour a soutenu sa thèse d’Aménagement en mai 2024, intitulée « La déclinaison territoriale des politiques biogéochimiques. Le cas de l’agglomération parisienne », sous la direction de Sabine Barles (Géographie-Cités, CNRS). À l’origine appuyée sur un dispositif CIFRE avec la Ville de Paris (Service de l’assainissement), la thèse était aussi liée à plusieurs programmes de recherches sur le bassin de la Seine. Lors du séminaire de l’Atelier 2, ce 17 janvier, le chercheur nous a présenté sa thèse et ses principaux résultats.

Étienne Dufour s’est intéressé à l’histoire des cycles biogéochimiques en région parisienne, des années 1900 aux années 1990. Son point de départ est un constat : celui de l’ouverture des cycles biogéochimiques (carbone, azote, phosphore…) à l’échelle mondiale et locale, ouverture dont les conséquences écologiques et sanitaires sont de plus en plus visibles. Les systèmes « alimentation-excrétion » ne forment plus des boucles circulaires. L’utilisation d’engrais de synthèse enrichis en azote et en phosphore s’est généralisée. Elle s’accompagne de pollutions multiples et de risques industriels (explosions comme à Beyrouth en 2020), et consomme d’importantes quantités d’énergie. À l’inverse, les déchets organiques, qui contiennent ces nutriments, sont de moins en moins recyclés : les déchets ménagers sont incinérés tandis que les eaux usées passent par des stations d’épuration qui ne parviennent jamais à une dépollution complète. Le problème est la « linéarisation des boucles biogéochimiques ».

Dans sa thèse, Étienne Dufour a tenté de répondre aux questions suivantes : d’où l’ouverture des cycles vient-elle ? Comment le système technique de traitement des déchets organiques a-t-il été mis en place et institutionnalisé ? Comment l’ensemble des matières organiques résiduelles urbaines ont-elles été destinées à la « destruction-dispersion » en usine d’incinération ou en station d’épuration ? Pourquoi les autres techniques de gestion (le « recyclage-valorisation ») ont disparu ?

Situant sa thèse au croisement de l’écologie territoriale, de l’histoire environnementale et de l’histoire des techniques et de l’énergie, Étienne Dufour a analysé les métabolismes à partir de sources historiques. Il s’est appuyé sur les approches du métabolisme comme « production technique » (Barles, 2017), laquelle est structurée en « macro-systèmes techniques » (Gras, 1997). Il a par ailleurs fait le choix de travailler sur l’histoire technique « par le bas », s’intéressant au point de vue des agriculteurs et autres artisans du recyclage, et de décentrer le regard vers les discontinuités du progrès technologique, les « chemins non empruntés » (Noble, 2011) et les « possibles » (Deluermoz et Singaravélou, 2016).

Pour exposer les résultats de l’enquête, la thèse suit un plan chrono-thématique : Étienne Dufour y retrace le maintien des techniques de recyclage héritées du XIXe et les débuts de la linéarisation entre 1900 et 1945 (chapitre 1), puis la disparition entre 1945 et 1990 des pratiques de recyclage des ordures ménagères (chapitre 2), des eaux usées (chapitre 3) et des matières de vidange (chapitre 4).

Étienne Dufour montre dans un premier temps qu’entre le début du siècle et la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’agglomération parisienne est caractérisée par un système technique qui recycle une grande partie des matières organiques résiduelles. Les déchets ménagers de Paris et sa proche banlieue étaient broyés dans des usines créées vers 1900 et les « gadoues » résiduelles envoyées vers les périphéries rurales comme engrais agricoles. Du côté des eaux usées, le recyclage s’appuyait sur un réseau dense de canalisations souterraines qui transportaient celles-ci des égouts parisiens aux champs d’épandage (situés à Gennevilliers, puis plus loin), dont la surface atteint 5500 hectares vers 1900. Enfin, les « matières de vidange », issues de fosses dans les cours de maisons qui étaient vidangées régulièrement, étaient utilisées par des « agriculteurs-vidangeurs » directement dans les champs ou transformées en engrais dans des usines datant du XIXe siècle. Étienne Dufour souligne que la Seconde Guerre mondiale a relancé l’intérêt pour les matières fertilisantes organiques urbaines. Les composts étaient alors promus par le régime de Vichy et ses « jardins de guerre », dans l’objectif de favoriser l’autonomie alimentaire. La linéarisation, amorcée dans l’entre-deux-guerres, est freinée un temps.

La période d’après-guerre est au contraire caractérisée par une technicisation croissante qui conduit à la disparition de ces pratiques de recyclage. L’exemple des ordures ménagères, qu’Étienne Dufour a choisi de développer dans cette communication, est significatif de l’échec du recyclage industriel comme politique planifiée. Le chercheur montre que le système de transfert des gadoues vers les périphéries agricoles a périclité d’abord à cause de changements de politique ferroviaire : jusque dans les années 1970, le transport de marchandises fonctionnait selon une tarification « à la valeur », ce qui favorisait l’exportation des déchets étant donnée leur faible valeur. Le second facteur de disparition du système des « gadoues » est l’utilisation des engrais chimiques, très tôt critiquée par un certain nombre d’agronomes et d’agriculteurs plutôt conservateurs. Les initiatives en faveur du compostage artisanal ont été mises en échec par les nuisances générées (odeurs, rats), mais elles ont fait des émules parmi certains entrepreneurs qui tentèrent alors de mettre en place un système industriel de compostage. Appuyé sur une planification départementale puis régionale et une publicité importante, on a construit de nombreuses usines de compostage dans les années 1950-1960. La majorité de ces usines ont pourtant été démolies ou transformées en usines d’incinération à partir des années 1970, sous les effets de la crise pétrolière mais aussi des changements de consommation propres aux Trente Glorieuses. Pour Étienne Dufour, les procédés de compostage industriel ont été pensés à partir des ordures des années 50 et pas celles des années 1970 (où les plastiques prennent une place croissante) : à peine mis en service, ils ne sont plus performants, puisque les déchets plastiques compliquent le tri et dévalorisent les composts. L’autre facteur déterminant identifié par le chercheur dans cet échec est l’invention du « recyclage énergétique » (qu’il qualifie d’oxymore), à savoir le changement d’orientation des politiques publiques en faveur de la production d’énergie (thermique notamment) par rapport à la récupération de matières. La présence croissante de plastiques, au fort rendement calorifique, favorise d’autant plus cette orientation vers l’incinération. La loi de 1975 sur les déchets a acté ce revirement, et l’incinération s’est développée rapidement dans les années 1970-80.

Les cycles des eaux usées et les matières de vidanges ont disparu également, mais de façon plus lente et disparate : l’épandage s’est maintenu jusqu’à la fin du siècle, le temps de construire et de perfectionner les stations d’épuration, tandis que les vidanges ont « survécu » dans certaines zones rurales et interstices de la métropole. Ces pratiques permettant un assainissement constant ont été vitales pour l’extension de la ville tout au long de la période.

En conclusion, Étienne Dufour met l’accent sur le caractère progressif de la « rupture métabolique » évoquée au début de sa présentation. Celle-ci s’est déployée sur un siècle, avec des formes de symbiose entre les techniques artisanales ou « alternatives » et les techniques industrielles devenues dominantes. Les disparitions du recyclage ne sont pas uniformes et varient de la planification échouée au maintien tacite, en passant par la « survivance ». Les facteurs d’éviction du recyclage sont nombreux et ont fait système, entre la croissance des besoins en énergie, le développement concurrentiel des engrais de synthèse, l’éloignement des espaces agricoles sous l’effet de la concurrence foncière, et les verrous législatifs et réglementaires. Enfin, ses recherches, qui prêtent une attention particulière aux individus agronomes ou agriculteurs, montrent que les alertes quant aux risques que représentent les voies technologiques (érosion et appauvrissement des sols, pollutions…) ont presque toujours été présentes.

Discussion

Quel est l’avis des agronomes plus âgés au moment où se développent les engrais de synthèse au début du XXe siècle ? Est-ce qu’ils sont déjà critiques ?

Étienne Dufour : Les agronomes actifs au début du XXème ont été formés à la pédologie et aux cycles organiques. Ils sont empreints des objectifs productivistes, et participent donc à la promotion des engrais chimiques dans les années 1910-1920, mais défendent en fait une vision intégrative des engrais, dans laquelle ils préconisent de ne pas se détourner du fumier. Avec les grandes cultures intensives, ils sont témoins des conséquences néfastes de l’usage unique des engrais chimiques sur les sols. La focalisation de l’enseignement agronomique sur les engrais chimiques seuls intervient plutôt dans les années 1950.

L’utilisation des gadoues n’a-t-elle pas posé de problèmes de santé publique pour les travailleurs ?

D. : Ces questions d’hygiène se sont surtout posées pour les matières de vidange et d’épandage, mais étaient relativement contenues par des règles sur les champs d’épandage. Il ne fallait pas irriguer les cultures de légumes que l’on consommait crus. Or les modes alimentaires évoluent au XXème siècle, on commence par exemple dès les années 1940 à manger les carottes crues. Dans ce cadre, les engrais synthétiques permettent de s’émanciper du risque pathogène, en plus de politiques de santé publique comme la vaccination. Pour les ordures en revanche, j’ai trouvé peu de choses à ce sujet dans mes sources. Les craintes sont plutôt liées aux nuisibles que ces déchets attirent et aux parasites qu’ils font proliférer.

Quelles seraient les pistes pour une étude contemporaine de ces phénomènes ?

D. : L’histoire récente des années 1990-2000 peut être assez utile pour étudier le présent, en contrepoint des entretiens qu’on pourrait mener. En termes de méthode, il faudrait confronter les discours écrits et parlés. Dans mon cas, le recours à l’histoire permettait de comprendre la législation et les normes actuelles, qui en tant que telles sont assez opaques pour un novice. C’est ce qui m’a poussé à faire une étude historique et non actuelle.

Comment la résistance des agriculteurs et agronomes contre les engrais de synthèse s’est-elle éteinte ?

D. : Pour étudier ces problématiques, je me suis appuyé sur les travaux de l’historienne Céline Pessis (2019) à propos de l’agriculture biologique. Elle montre par exemple comment les Coopératives d’Utilisation de Matériel Agricole (CUMA) ont été des outils d’interface pour promouvoir les engrais de synthèse à cette époque. Mais il n’y pas eu que ce mouvement pour les engrais de synthèse : j’essaye justement d’apporter de la nuance sur ces sujets. Je pense par exemple à la « croisade pour l’humus » dans les années 1950. Ce mouvement de contestation n’a pas persisté car il ne faisait pas le poids par rapport aux initiatives de promotion des engrais de synthèse : le ministre de l’Agriculture dans les années 1970 porte un regard méprisant sur ce mouvement et le cadre rapidement.

Comment lier vos résultats avec la problématisation du cadrage des déchets, et avec cette idée des « non-problèmes » (Emmanuel Henry) qui n’émergent pas dans l’arène publique car il ne sont ni formalisés ni médiatisés ? Je pense aux déchets plastiques au moment de leur arrivée dans la consommation.

D. : En effet, la propagande des déchets plastiques, en réaction aux accusations qui sont faites aux industriels du plastique, constitue un contre-cadrage devenu dominant. Dans la revue Plastique et environnement, créée en 1976, on peut lire que les plastiques sont des solutions aux problèmes environnementaux et énergétiques car ils sont plus légers donc consomment moins d’énergie ; on entend encore cela aujourd’hui.

À propos de la méthodologie : comment fait-on quand on étudie ces questions en tant qu’historien pour ne pas y projeter un regard téléologique ? La circularité du XIXème siècle n’est-elle pas une invention aussi, comme la linéarité ?

D. : Les idées de bouclage ou de circularité sont très présentes au XIXème siècle et vont le rester. Le terme de recyclage date des années 1970, mais l’idée des cycles naturels est préexistante. Pour voir ce qu’il se passe au XIXème siècle et avant, il faut lire Sabine Barles : elle montre que beaucoup de gens pensent alors le bouclage des flux entre villes et campagnes, au point que cela se retrouve dans la littérature française.

Il semble y avoir une « querelle des anciens et des modernes » dans les pratiques agricoles, un fossé qui se creuse entre deux types d’agriculture, avec ces nouvelles techniques. Comment se positionnent les syndicats agricoles ?

D. : Juste après la Seconde Guerre mondiale, la Confédération Générale de l’Agriculture (CGA, rapidement absorbée par la FNSEA qui en est d’abord une section) retient ce qu’il s’est passé pendant la guerre donc défend l’idée qu’il faut des engrais pour l’agriculture, y compris des engrais organiques. À la fin des années 1940, le Ministre de l’Agriculture Tanguy-Prigent a un adjoint qui est sensible à cet appel des « croisades pour l’humus », ce qui se traduit par l’inscription de la question des engrais organiques dans les plans agricoles. Je n’ai pas trouvé beaucoup de sources sur la FNSEA, mais on peut faire l’hypothèse qu’ils ont eu une moindre défense des engrais organiques. Les « croisades pour l’humus » s’appuient plutôt sur des agronomes militants, de plus en plus marginaux, et sur les cultivateurs sensibles à ces questions. Ces acteurs sont aussi proches des milieux militants de consommateurs, qui sont critiques de la consommation de masse et des produits issus de la production industrielle.

Quelle serait une méthode d’histoire « par le bas » : une attention au qualitatif, certains choix de terrains particuliers… ?

D. : J’ai parlé d’histoire « par le bas » car cela pose la question des acteurs dont on relaie la voix. En l’occurrence, j’ai voulu restituer les activités des agriculteurs, des vidangeurs… Le problème est que le monde agricole laisse peu de traces dans les archives. Il faut s’en remettre aux archives institutionnelles, qui parlent parfois de ces acteurs. Par exemple, on retrouve dans des documents municipaux (des contrats, des budgets…) la trace des cultivateurs qui assuraient un rôle de gestionnaire d’ordures pour les municipalités. Je me suis aussi appuyé sur des monographies faites par des géographes de l’époque pour comprendre les champs d’épandage, qui ressemblent parfois à des travaux d’ethnographie.

Quelle est la place des femmes dans cette histoire ?

D. : Globalement, c’est une histoire très masculine, car les scientifiques et les ingénieurs agronomes sont surtout des hommes. On voit cependant de plus en plus de femmes dans les archives à partir des années 1970.

Comment l’industrialisation du recyclage des déchets a-t-elle été accueillie par les populations en ville ?

D. : Sur ces questions, on peut lire les travaux de François Jarrige (2014) sur le refus de certaines technologies. Mais en règle générale, après 1945 ce sont des habitants qui ont connu la guerre, les pénuries et la vie dure, donc les promesses en termes de progrès et de confort répondent bien aux attentes formulées par la population. En plus, une importante propagande publicitaire est diffusée pour mettre en valeur ce mode de vie. Les critiques ont bien existé mais sont restées rares.

Références

Barles Sabine, « Écologie territoriale et métabolisme urbain : quelques enjeux de la transition socioécologique », Revue d’Économie Régionale & Urbaine, no 5, Armand Colin, rubrique « Géographie », 2017, p. 819-836.

Deluermoz Quentin et Pierre Singaravélou, Pour une histoire des possibles. Analyses contrefactuelles et futurs non advenus, Paris, Seuil, coll. « L’Univers historique », 2016.

Gras Alain, Les Macro-systèmes techniques, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 1997.

Jarrige François, Technocritiques. Du refus des machines à la contestation des technosciences, Paris, La Découverte, coll. « Sciences humaines », 2014.

Noble David, Forces of Production: A Social History of Industrial Automation, New York, Routledge, 2011.

Pessis Céline, Défendre la terre. Scientifiques critiques et mobilisations environnementales des années 1940 aux années 1970, Thèse de doctorat, Paris, EHESS, 2019.

Séance du 21 mars

Cesare Mattina et Pierre Fournier : Concrétiser les transitions énergétiques : quelle mobilisation des territoires ?

Lors de cette séance de séminaire, Pierre Fournier (Mésopolhis, Aix-Marseille Université) et Cesare Mattina (Mésopolhis, Triangle) ont présenté l’ouvrage collectif qu’ils ont dirigé, intitulé Les territoires des transitions énergétiques. Nucléaire et énergies renouvelables en Italie et en France, publié en 2023 aux Éditions Khartala – Maison méditerranéenne des sciences de l’Homme d’Aix-en-Provence[1].

Cesare Mattina et Pierre Fournier ont d’abord introduit leur ouvrage, à travers les choix effectués et les objets étudiés. Puis ils ont présenté certains résultats de leur enquête comparative entre la France et l’Italie, sur les énergies renouvelables à l’échelle locale.

L’ouvrage collectif s’intéresse aux relations entre les sites de production d’énergie bas carbone (nucléaire, solaire, éolien) et les territoires environnants, qui sont des espaces à faible densité de population. Il s’appuie sur les pratiques des acteurs pour mettre en lumière les enjeux environnementaux dans ces territoires. Pierre Fournier précise qu’au départ, l’étude était focalisée sur le nucléaire, puis les énergies renouvelables ont été intégrées en contrepoint. Les chercheurs ont analysé les énergies renouvelables au prisme d’une comparaison historique entre Italie et France, et d’une réflexion sur l’avenir des implantations. La troisième partie, en particulier, interroge la possibilité de renouveler le nucléaire.

Cesare Mattina revient sur leur démarche méthodologique. Il souligne que l’approche est pluridisciplinaire, façonnée par le dialogue et la « contamination » entre l’histoire, la sociologie, les sciences politiques et l’urbanisme. Il présente un dispositif de recherche comparatiste entre la France et l’Italie, une « approche dialectique et par contraste de la comparaison ». Tandis que l’Italie a arrêté la production nucléaire en 1997 et 1990, cette source d’énergie est encore centrale dans le mix énergétique français. Pourtant, leurs systèmes énergétiques étaient similaires jusqu’aux années 1980. En parallèle de cette comparaison internationale, les chercheurs ont confronté le nucléaire aux énergies renouvelable, dont le rapport au territoire est en réalité assez similaire : les questions de l’emploi ou de la biodiversité par exemple se rejoignent. Enfin, l’ouvrage compare le passé au présent. Ils ont procédé par monographies locales, portant sur ce que Cesare Mattina appelle des « territoires des transitions et non pas de la transition énergétique », en prêtant attention aux interactions entre les acteurs.

Cesare Mattina a présenté certains résultats de l’enquête, éclairant les apports d’une approche territorialisée et localisée. D’une part, l’étude localisée permet de dépasser les contestations et oppositions au cœur des conflits d’aménagement, pour mettre en lumière des sentiments plus ambivalents de la part des acteurs locaux. Face aux implantations énergétiques, certains acteurs fondent des espoirs, doutent sur le futur ou vivent des désillusions. Ces sentiments ambivalents sur un même territoire se retrouvent par exemple dans la gestion des déchets radioactifs à Salute (Italie), qui génère des craintes mais aussi des ressources pour les élus locaux et la commune. À Trino, l’implantation nucléaire a fait espérer une forte croissance de la population, ce qui s’est traduit par une vaste planification immobilière, mais la population n’a finalement pas augmenté. Cesare Mattina montre d’autre part que l’étude locale permet de penser les soutiens « à bas bruit » pour les transitions énergétiques, à travers les acteurs qui se mobilisent discrètement pour les infrastructures.

Dans un dernier temps, Pierre Fournier est revenu sur la distinction entre les situations française et italienne. La France du Sud-Est et l’Italie du Nord-Ouest ont chacune des filières de production énergétique variées, avec de l’hydraulique, du solaire et de l’éolien de part et d’autre, mais aussi de la biomasse et de la géothermie en Italie. Pour le chercheur, on assiste moins à une transition qu’à une accumulation d’énergies. Les usages du nucléaire sont aussi différents d’un pays à l’autre, et ont évolué au fil du temps : militaire puis civil en France, il a été d’abord lié à la santé avant d’être utilisé pour la production d’électricité en Italie. Pierre Fournier résume la situation en expliquant que le nucléaire apparaît comme plutôt privé en Italie et public en France, même s’il rappelle que la situation est plus complexe. Le rapport de chaque pays aux Etats-Unis est aussi différent, avec la participation ou non à différents programmes de recherche internationaux. Il finit par insister sur les traces laissées par l’expérience nucléaire, avec des dépendances multiples, entre dépendance au sentier et dépendances « d’obligations » vis-à-vis de l’environnement. Pierre Fournier caractérise la situation italienne de « dépendance étonnante », compte tenu des incertitudes quant à la gestion des déchets post-démantèlement, entre recyclage des déchets, patrimonialisation et effacement de l’histoire nucléaire. Il parle au contraire d’une « dépendance évidente » pour la France, où l’arrêt définitif des installations n’est pas sérieusement envisagé, et où le « vivre-avec » est devenu la norme.

Discussion

Qu’avez-vous observé, historiquement ou plus récemment, sur la traduction politique des sentiments que vous évoquez, sur la manière dont certains types d’énergies sont récupérés par des partis politiques ou autres ? Quelles sont les récupérations politiques liées aux sentiments suscités par les projets de transition énergétique ?

Cesare Mattina : L’exemple de Trino est intéressant pour ça. Le Parti communiste italien et le Parti socialiste dans les années 1980 étaient très fortement pro-nucléaires. Aujourd’hui, les vieilles générations d’élus sont toujours pro-nucléaires. Mais il y a eu une vraie rupture en 1990. Beaucoup d’élus ont décidé de prendre de la distance avec cette énergie et de penser un futur sans nucléaire, notamment les partis écologistes.

Avez-vous pu observer d’autres formes plus positives de sentiments autour des énergies renouvelables en Italie ? Y a-t-il des mouvements citoyens de participation autour des énergies renouvelables, pour contrer les populismes énergétiques et associer les énergies renouvelables à des projets de société plus positifs ?

M. : Ces questions ne sont pas très développées dans le livre. On a plutôt travaillé sur les oppositions et les espoirs ou désillusions du passé. Mais Pierre Fournier travaille actuellement sur les archives filmiques de la construction de Bagnols-sur-Cèze à côté de Marcoule. Ces archives rejoignent des entretiens avec les habitants, qui n’imaginaient pas qu’un aussi grand chantier pouvait s’arrêter. C’est une ville de droite, tenue par des viticulteurs, qui acceptent de prendre le site alors que la ville d’à côté l’a refusé. Puis ce sont les élites industrielles, de gauche, qui prennent la mairie vers 1977. Aujourd’hui il y a une montée de l’extrême-droite, dans une ville de 20 000 habitants avec des grands ensembles à problème, des salafistes, du narco-trafic etc. Au final, on ne sait pas si c’est dû au nucléaire ou au quotidien dans la ville.

L’accident nucléaire de 1987 en Italie, suivi d’un référendum où le « contre » l’emporte, survient juste après l’accident nucléaire majeur à Tchernobyl. Quelle est la perception des risques nucléaires ?

Pierre Fournier : Il est compliqué de comprendre la perception des risques par les populations locales comme nationales. C’est une affaire qui occupe les chercheurs. Dans notre livre, on a évoqué en revanche le fameux « vivre-avec ». Est-ce qu’on y travaille ? Qu’est-ce que ça change de savoir que moi ou mon voisin y travaille ? Il faut s’intéresser à d’autres choses que les risques de catastrophe majeure : comment on parle de situations beaucoup plus concrètes, les demi-catastrophes de tous les jours ? S’exposer à un accident de radioactivité est une catastrophe en soi pour beaucoup de personnes. Dans ma thèse sur le site de Marcoule, j’avais étudié ce qui se passe quand un travailleur a été contaminé et doit rentrer chez lui le bras emballé dans du plastique, pour transpirer et évacuer la radioactivité, avec sa femme qui téléphone au service médical pour demander ce qui se passe. Il y a aussi la question des échelles du risque industriel. Il y a souvent des accidents de niveau 0 ou 1, et puis tout à coup de niveau 2. L’accident 2 en 2009 à Cadarache n’a rien mis dehors, mais il y a eu un petit règlement de comptes entre le service de l’État, le contrôleur et l’opérateur de l’infrastructure, qui se sont mis d’accord. Donc c’était une dispute interne au monde nucléaire, qui a été publicisée. Mais quand on est un habitant du territoire, qu’est-ce qu’on fait ? On n’est pas informé. L’échelle locale qu’on a essayé de souligner dans notre livre permet d’évoquer ces questions. Quand il s’agit de faire des débats publics autour du nucléaire, on parle des routes, de la possibilité de développer du solaire en plus… C’est un bargaining [marchandage] intéressant, plutôt qu’un bilan de morts, pour entrer dans cette autre échelle.

Le nucléaire est souvent implanté par le haut, alors que pour les énergies renouvelables c’est plutôt par le bas. La question des SMR (small modular reactor) et du chauffage urbain nucléaire se pose actuellement, avec des start-ups comme Nucleo qui font des chaudières nucléaires. Cela pollue beaucoup moins pour le chauffage que le gaz. Est-ce une initiative qui pourrait être acceptée par les gens, plus que les projets étatiques ?

F. : Si on veut relancer le nucléaire, il faut relancer la question de la sécurité. Ce n’est pas sûr qu’on y arrive pour l’instant. J’ai l’impression qu’on a lancé l’idée des SMR comme une gentille diversion, en disant que c’est plus petit donc avec moins de danger. En fait, les petits projets posent les mêmes problèmes que les grands. Si on abaisse le coût de sécurité, cela ne permet pas de rester en sécurité. Bien sûr, on peut nuancer cette idée, avec l’hydrogène par exemple : il y a des réacteurs qui pourraient générer une chaleur utile pour produire de l’hydrogène par hydrolyse, et donc augmenter les rendements. Donc peut-être qu’il y a des solutions.

Avez-vous vu des différences entre le secteur industriel et le secteur de l’énergie en termes de catégories d’analyse, de méthodes, de terrains ?

  1. M. : Je l’ai vu en travaillant sur la Chimie près de Saint-Auban. L’idée commune de l’ouvrage, qui était d’abord celle de Pierre, était de montrer que le nucléaire n’était pas si spécifique, et qu’il avait de fortes similarités avec d’autres industries comme la chimie : les questions de risques, d’accidents du travail, de rapports au territoire. Il y a un besoin de « dé-spécifier » l’énergie.
  2. F. : J’ai travaillé sur le nucléaire. Cesare a commencé par les grandes villes, puis les territoires à faible densité. On est venus, intrigués par cette histoire d’industrie, pour essayer de situer au bon endroit les spécificités absolues du nucléaire. Les catégories d’analyse sont autour de ces groupes sociaux dans des espaces locaux, qui parce qu’ils sont mono-industriels ou bi-industriels créent des structurations sociales qui ne correspondent pas à la grille des PCS de l’INSEE. Il faudrait qu’on aille sur ces lieux en se demandant comment ces terroirs et leur basculement en territoire décide des prestiges sociaux, des élites locales.

Avez-vous rencontré dans vos terrains des logiques de reconversion énergétique sur des sites industriels ?

F. : La photo de couverture présente typiquement ça. On y voit la mise en place d’espaces verts et d’éoliennes sur les terrains autour de l’usine nucléaire.

Vous avez dit que les objectifs d’installations d’énergies renouvelables ont été revus à la baisse dans la vallée de la Durance. Pouvez-vous expliquer ?

F. : C’est sur cette question qu’on travaille maintenant. Un des objectifs est de produire de l’hydrogène par hydrolyse, mais il n’y a pas assez d’eau dans la Durance. L’hydrolyse est faite avec des électrons verts venus des parcs solaires, sur 1050 hectares. C’est le projet, mais ce n’est pas sûr qu’on pourra le faire. Il y a aussi des oppositions dans ces territoires.

Il semble que RN se mobilise très fortement contre les éoliennes. Avec l’implantation de députés RN dans le rural, est-ce qu’on voit les choses évoluer ? Peut-on dresser un parallèle avec l’Italie sur les éoliennes et les mouvements d’extrême-droite néofasciste ?

M. : Il y a un papier dans le livre de Stéphanie Dechézelles[2] sur la construction de l’opposition aux éoliennes, en lien avec l’extrême-droite. En même temps, elle montre qu’on trouve de tout : les milieux du nucléaire sont aussi contre, alors qu’ils ne sont pas d’extrême-droite, de même que l’aristocratie française.

Vous parlez de territoires à faibles densités, mais qui se peuplent de plus en plus avec la périurbanisation. Comment les nouvelles populations jouent sur le déploiement industriel et/ou sur la reconversion ?

F. : Les personnes qui s’y installent n’imaginent pas forcément le futur du nucléaire. À Tricastin-Pierrelatte, il y a maintenant des constructions très proches de l’usine, alors qu’il n’y en avait pas auparavant. Les établissements qui accueillent du public et les petits pavillons ont été progressivement autorisés. La puissance publique ne pensait pas à un rebond du nucléaire immédiat, donc elle a laissé faire. Il y a aussi des politiques sociales qui attirent.

Dans votre démarche, vous ne vous limitez pas aux mobilisations contre, mais vous faites l’effort de penser les formes de soutien qui se manifestent et s’expriment plutôt à bas bruit. Comment les groupes sociaux dont vous avez parlé et qui se positionnent en soutien agissent-ils ? Quels sont leurs répertoires d’action, leurs ressources de pouvoir, leur mobilisation concrète ?

  1. M. : Le maire de Trino est un exemple de l’alliance entre le nucléaire et le BTP local. Ce sont des milieux socio-économiques qui se mobilisent dans les années 1970 contre l’agriculture traditionnelle et la paysannerie. Ils cherchent à normer la ville dans le sens de l’urbanité, avec des prescriptions qui défavorisent les paysans. Il y a alors une impressionnante mise en norme urbaine des espaces de vie. Donc ce sont des répertoires qu’on voit dans les archives, pas forcément dans les entretiens. On a seulement esquissé ces groupes sociaux, avec des zooms de terrain, mais il faudrait faire une ethnographie.
  2. F. : On ne parlerait pas forcément de répertoire d’action ou de prise de position. Mais il y a par exemple le directeur de centre de Cadarache, qui était dans les années 1990 mandaté syndical et élu local. Il pouvait réserver des temps et des ressources pour se mobiliser. Il explique qu’il était à ce moment-là à la croisée des chemins, entre fermer le site et le redévelopper, donc il a utilisé ce temps pour faire ça. Il y a aussi la Maison de l’énergie qui existe aujourd’hui à Manosque, qui est tenue par des ingénieurs du CEA à la retraite très contents de le faire. La mobilisation à bas bruit ne consiste pas forcément à prendre position, mais passe par une mobilisation pour des choses autres, comme les routes, qui deviennent des revendications des locaux.

[1] Voir le compte-rendu de l’ouvrage par Romain Garcier : R. Garcier, « Cesare Mattina, Elisabetta Bini, Barbara Curli, Pierre Fournier, dir., Les territoires des transitions énergétiques. Nucléaire et énergies renouvelables en Italie et en France », Rives méditerranéennes, no 65, TELEMME (UMR 6570), 1er juin 2024, p. 235-237.

[2] M. Olive et S. Dechézelles, Politisation du proche : Les lieux familiers comme espaces de mobilisation, Presses universitaires de Rennes, 2019

2 juin 2025 – Communautés énergétiques en Californie

Lundi 2 juin de 10h30 à 12h30, nous avons le plaisir d’accueillir Therese Peffer de l’Université de Californie à Berkeley et Miriam Aczel de l’Université des Nations-Unies à Richmond Hill au laboratoire EVS, pour un séminaire exceptionnel à l’occasion de leur venue en France. Elles présenteront leurs travaux sur les expériences de transition énergétique fondées sur les communautés en Californie.

Le séminaire aura lieu à Lyon sur le site Chevreul en salle 604, et à distance
( https://zoom.us/j/98993150019 )

1.    Oakland EcoBlock: a community-based sustainability retrofit
Therese PEFFER, UC Berkeley, USA

The Oakland EcoBlock is an urban decarbonization and resilience pilot project to radically retrofit an underserved neighborhood in Oakland, California. Primarily funded by the California Energy Commission as one of four Advanced Energy Community implementation projects, EcoBlock tests strategies to transform an existing block of older residential and commercial units with shared energy- and water-efficient technologies. This UC Berkeley-led project aims to evaluate the integrated design and development process and accelerate the adoption of urban, block-scale retrofits at pace and at scale, with community engagement being a key aspect of the project.

2.     Reimagining Resilience: Lessons from California’s Advanced Energy Communities
Miriam ACZEL, United-Nations University, Canada

The California Energy Commission’s Advanced Energy Communities (AEC) initiative explores the potential of decentralized energy through microgrid pilots in diverse communities across the state. This presentation draws on insights from 12 AEC projects funded through the Commission’s EPIC program, examining how microgrids (combining renewable energy, battery storage, and smart energy management) can provide cleaner, more resilient, community-driven alternatives to centralized power systems. We highlight both the potential and the real-world challenges these projects face, including regulatory barriers, financing constraints, and data access limitations. Key lessons include the importance of meaningful community engagement, flexible project design, and clear, inclusive communication in enabling just, scalable energy transitions.

 

Therese Peffer, PhD, is a project manager and researcher at the California Institute for Energy and Environment (CIEE) within the Center for Information Technology Research in the Interest of Society (CITRIS) at the University of California, Berkeley. Therese manages and conducts research in smart

building technologies, building-to-grid, demand response, and smart grid research projects with the objective of creating comfortable and energy efficient livable spaces. She serves as an Associate Director for CIEE and for the CITRIS Climate initiative and is the co-Chair of the annual Behavior Energy and Climate Change conference. She is currently managing the Energy Commission funded EcoBlock and large commercial decarbonization projects, and supporting Frontier Energy in an SDG&E-funded project to train contractors to bid, install and maintain high quality HVAC system in homes.

 

Miriam Aczel, PhD, is Researcher, Sustainability Transition and Justice at the United Nations University Institute for Water, Environment and Health (UNU-INWEH), Richmond Hill, Canada. Miriam has a BA in Geography and Earth Sciences (McGill University), an MSc in Environmental Technology (Imperial College London), and a Ph.D. in Environmental Policy (Imperial College London). She was a President’s Ph.D. Scholar (2016-2021) researching the environmental and community impacts of ‘fracking’ in the UK, USA, France, China, and Algeria, and received the Outstanding Student Achievement Award (2017). Miriam was the inaugural McQuown Postdoctoral Scholar at the California Institute for Energy and Environment (CIEE) at the University of California, Berkeley.

Journée des doctorants de l’atelier “Flux et circulations”, 16 mai 2025, Saint-Etienne

La traditionnelle “journée des doctorants” de l’atelier “flux et circulation” aura lieu à Saint-Etienne, en amphi 104, à l’Espace Fauriel / Mines Saint-Etienne (29 rue Ponchardier) ce vendredi 16 mai 2025. Les présentations seront également accessibles en visio-conférence.

Vous trouverez le programme ci-dessous.

Voici le programme des présentations :

 • 10h-11h – Maxime Ritouet (EVS/EMSE) (thèse IMT futur et Ruptures) : « Les approches participatives pour la transformation soutenable des aires urbaines »

• 11h -12h – Emile Balembois  (EVS/EMSE) (thèse IMT futur et Ruptures)   : « Proposer une méthode de traduction territoriale des Frontières du Système Terre qui intègre le contexte sociotechnique. Le cas de la métropole de Lyon »

• 12h-13h30 – Repas au soleil sur la terrasse 

• 13h30 – 14h30 – Melissa Bounouar  (EVS/EMSE) (thèse ADEME / Pôle Ecoconception)  : « Éco-concevoir dans le respect des limites planétaires : comment intégrer l’évaluation absolue de la soutenabilité dans la démarche d’éco-conception ? Étude de cas pour le secteur textile »

• 14h30-15h30 – Annabelle Serraz (PACTE/EVS) : « De la recherche fondamentale au chauffage. La valorisation externe de chaleur fatale d’infrastructures scientifiques en France comme objet de recherche en sciences sociales »

21 mars 2025 – Pierre Fournier et Cesare Mattina – Concrétiser les transitions énergétiques : quelle mobilisation des territoires ?

Vendredi 21 mars 2025 – 10h à 12h – 18 rue Chevreul, salle 604 (6e étage)

Cette séance du séminaire Flux et circulations est consacrée à la présentation et la discussion de l’ouvrage collectif Les territoires des transitions énergétiques. Nucléaire et énergies renouvelables en Italie et en France, publié en 2023 aux Editions Khartala et à la Maison méditerranéenne des sciences de l’Homme d’Aix-en-Provence.

Dans cet ouvrage, les auteurs proposent d’observer les réorientations des choix énergétiques qui se sont joués dans le passé (seconde moitié du XXe siècle) et qui se jouent au présent à propos du nucléaire et des énergies renouvelables photovoltaïques et éoliennes, initiés « par le haut », par l’Etat, par les grandes entreprises, comme « par le bas », négociés localement dans les territoires d’installation des équipements énergétiques. Les enquêtes socio-historiques menées dans différents contextes locaux en Italie et en France s’alimentent de la comparaison entre ces deux pays de la Méditerranée, contrastés en termes de mix énergétique et de dynamiques de choix : avec un nucléaire en déconstruction en Italie depuis 1987 tandis qu’il est toujours dominant dans la production électrique française, avec des développements d’énergies renouvelables plus avancés en Italie qu’en France et avec des difficultés voisines pour se défaire du pétrole et du gaz. Dans les deux pays et dans les différents secteurs envisagés, les processus territoriaux de transition énergétique interrogent les choix des politiques publiques oscillant entre la décentralisation régionale et la tentation constante de centralisation étatique. 

Contacts : antoine.fontaine@cnrs.fr, emmanuel.martinais@entpe.fr et annabelle.serraz@univ-grenoble-alpes.fr

17 janvier 2025 – Etienne Dufour – La disparition des politiques biogéochimiques circulaires

Vendredi 17 janvier 2025 – 10h à 12h – 18 rue Chevreul, salle 604 (6e étage)

Cette séance du séminaire Flux et circulations est consacrée à la présentation et la discussion de la thèse en aménagement d’Etienne Dufour, soutenue en 2024 et intitulée La fin du recyclage ? Rupture métabolique et politiques biogéochimiques en région parisienne au 20e siècle.

Mobilisant le cadre du métabolisme urbain, de l’histoire urbaine et de l’histoire environnementale, Etienne Dufour s’intéresse à la disparition de ce qu’il nomme les “politiques biogéochimiques” circulaires, à l’origine de nombreux dommages écologiques et sanitaires. Dans sa présentation, il montre comment et pourquoi, et malgré des périodes de regain, les techniques d’utilisation agricole des matières organiques résiduelles (compostage des ordures, épandage des eaux usées ou transformation des matières de vidanges en engrais) ont disparu au cours du XXe siècle et particulièrement après les années 1970.

Contacts : antoine.fontaine@cnrs.fr, emmanuel.martinais@entpe.fr et annabelle.serraz@univ-grenoble-alpes.fr

6 décembre 2024 – Lisa Claussmann – Le sous-sol comme espace de relégation des pollutions industrielles

Photo Pexels – Jack & Sue Drafahl

Vendredi 6 décembre 2024 – 10h à 12h00 – 18 rue Chevreul, salle La Rotonde (6e étage)

Cette séance du séminaire Flux et circulations est consacrée à la présentation et la discussion de la thèse de Lisa Claussmann, soutenue en 2023 et intitulée Au nom de l’environnement. Stocamine : la reconversion d’un territoire minier par l’enfouissement de déchets dangereux.

Dans cette présentation, Lisa Claussmann propose d’explorer la difficile prise en charge des déchets industriels dangereux dans le cadre d’une politique publique de stockage souterrain. Elle s’appuie pour cela sur les résultats d’un travail de thèse en Sciences, Techniques et Sociétés (STS) réalisé entre 2019 et 2023. La thèse retrace la trajectoire de Stocamine, un site d’enfouissement créé dans les années 1990 à 550 mètres sous terre et sous une nappe phréatique, de près de 42 000 tonnes de déchets industriels dangereux. Elle propose une analyse des conditions sociales et politiques de l’existence du sous-sol comme espace de relégation des pollutions industrielles pour questionner l’incertaine résurgence des déchets au fur et à mesure que le temps passe. Dans la présentation, elle reviendra sur l’analyse de cinq séquences au cours desquelles se négocient la création, l’exploitation et la difficile fermeture de Stocamine.

Contacts : antoine.fontaine@cnrs.fr, emmanuel.martinais@entpe.fr et annabelle.serraz@univ-grenoble-alpes.fr

8 novembre 2024 – actualités de la recherche en droit de l’environnement

@Unsplash @DanMeyers

Le prochain séminaire de l’Atelier Flux et circulations se tiendra le vendredi 8 novembre de 10h à 12h en salle 604 au 18 rue Chevreul. Nous aurons le plaisir d’écouter et d’échanger avec Victoria Chiu (MCF droit public, Lyon 3), Rémy Dufal (MCF Lyon 3, droit public), Oriane Sulpice (MCF Lyon 2, droit public) qui viendront nous présenter leurs recherches en cours en droit de l’environnement.

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Victoria Chiu – Le cadre juridique de la lutte contre la pollution de l’eau: l’exemple des PFAS

Depuis la révélation du scandale de la contamination aux perfluorés (PFAS) dans la Vallée de la Chimie au sud de Lyon au printemps 2022 les initiatives, notamment juridiques, se multiplient pour lutter contre ce type de pollution et pour engager la responsabilité tant des entreprises en cause, mais aussi de l’État. Dans le cadre de la communication orale, il s’agira de présenter et d’analyser ces initiatives.

Rémy Dufal – Le droit fiscal et financier de l’environnement au soutien de l’action publique. Réflexion sur les incitations fiscales et financières mobilisées par les personnes publiques dans le cadre des politiques publiques environnementales

Si le droit de l’environnement et ses instruments traditionnellement contraignants, essentiellement de police administrative, continuent d’être mobilisés pour protéger l’environnement, les autorités normatives ont développé en parallèle des outils qui relèvent d’une autre philosophie, substituant l’adhésion des destinataires de la norme à la contrainte et à la coercition associée. C’est dans un tel contexte que prend place le droit fiscal et financier de l’environnement. Les outils fiscaux et financiers qui le composent (impositions, redevances, quotas d’émission de gaz à effet de serre, certificats d’économie d’énergie etc.) visent à orienter le comportement des personnes, physiques ou morales, privées comme publiques, en octroyant en avantage ou en faisant supporter une charge, fiscale ou financière. Ils ont été développés sans cohésion d’ensemble, à différentes époques, induisant une certaine hétérogénéité, et, par voie de conséquence, des confusions sur leur fonction et leur finalité, que l’on retrouve notamment dans les analyses institutionnelles menées sur ces outils.

L’ambition de ma thèse était ainsi de clarifier les finalités de ces outils, leurs régimes juridiques et leurs conditions de mise en œuvre, en proposant une lecture d’ensemble sous cette bannière commune qu’est le droit fiscal et financier de l’environnement. L’analyse a été mené sous l’angle du caractère incitatif de ces outils. Sur la base de cette unité conceptuelle, ont été mises en évidences un certain nombre de dynamiques juridiques, à commencer par celle de la cohérence environnementale (toute relative) du droit fiscal et financier de l’environnement. Se posent également un certain nombre de questions relatives à la conciliation entre les impératifs environnementaux et les considérations socio-économiques (dépendance énergétique, concurrence internationale…), à l’échelon pertinent de mise en oeuvre… et en trame de fond, une question principale : quelle articulation des instruments incitatifs par rapport aux normes contraignantes ?

Outre ma thèse, l’objectif général de mes recherches consiste ainsi à analyser l’influence structurante des enjeux environnementaux sur le droit public général, avec une attention portée sur les interactions entre le droit et les politiques publiques. Je mène actuellement des recherches sur l’environnementalisation du droit de l’Union européenne, et, de façon plus spécifique, sur l’évolution du cadre juridique applicable aux filières de responsabilité élargie des producteurs.

Oriane Sulpice – La transition des territoires de montagne du point de vue du contentieux des documents d’urbanisme des stations de ski.

Le contentieux des documents d’urbanisme oscille habituellement entre contestations par des propriétaires soucieux la valeur de leurs biens, et contentieux stratégiques d’associations environnementales. Le droit commun de l’urbanisme a servi de toile de fond à nombre de recours. Cependant, les derniers litiges laissent apparaître des arguments axés autour du droit de l’environnement maniant le vocabulaire de la justice climatique.

Ma thèse a porté sur ce contentieux et ses conséquences pour les douze plus grandes stations de ski françaises des Alpes du Nord. Je cherchais à comprendre l’influence des litiges portant sur les PLU sur les décisions en matière d’urbanisme. J’ai utilisé des méthodes des sciences sociales (entretiens semi-directifs, observation non-participante, …), des explorations d’archives, et une analyse du cadre juridique et des contentieux. Je chercherais à prolonger mes résultats à travers l’analyse de contentieux récents et en traitant de la perspective des aménagements en vue des JO d’Hiver 2030.

Ainsi, à travers ces contentieux, que peut-on dire des transitions des territoires des très grandes stations de ski ? Du point de vue de la science juridique, quelles méthodes pour les juristes afin d’articuler des enquêtes de terrain avec l’analyse d’un droit qui paraît parfois trop froid et technique ? Quel dialogue engager avec les autres sciences sociales autour de la géographie du droit ?

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Un lien de visioconférence pourra être communiqué pour celles et ceux qui ne pourront se joindre à nous sur place.

Nous vous attendons et espérons nombreux.ses.

Contact: antoine.fontaine@cnrs.fr – emmanuel.martinais@entpe.fr – annabelle.serraz@univ-grenoble-alpes.fr

11 octobre – alternatives socio-écologiques et matérialités

Le séminaire de rentrée de l’équipe “Flux et circulations” se tiendra le vendredi 11 octobre de 10h à 12h30 à l’Espace Marc Bloch au sein de la MSH au 14  Avenue Berthelot à Lyon. Nous aurons le plaisir d’écouter et d’échanger avec Geneviève Pruvost (DR CNRS, sociologie) à l’occasion de la publication récente de son ouvrage “La subsistance au quotidien. Conter ce qui compte”. Dans le prolongement de ses travaux sur le féminisme et la politisation des gestes du quotidien, elle s’intéresse dans son nouvel ouvrage aux alternatives écologiques et aux pratiques d’autonomie en contant et comptant le quotidien d’une famille de boulangers-paysans. Nous aurons tout particulièrement l’occasion de l’interroger sur les méthodologies d’ethnocomptabilité qu’elle met en œuvre et sur les différences et complémentarités entre ses approches par les matérialités des transformations socio-écologiques et celles qui sont développées au sein de l’équipe “Flux et circulations”.

Un lien de visioconférence pourra être communiqué pour celles et ceux qui ne pourront se joindre à nous sur place.

Nous vous attendons et espérons nombreux.ses.

Contact: antoine.fontaine@cnrs.fr – emmanuel.martinais@entpe.fr – annabelle.serraz@univ-grenoble-alpes.fr

15 novembre 2024 – Pauline Massé – Séance de séminaire commune aux ateliers Flux & Circulations, et Faire territoire, faire société

Vue de la mine de Couflens-Salau en Ariège

Vendredi 15 novembre 2024 – 10h à 12h30 – 18, rue Chevreul Lyon 7 – salle 604

Repaires en conflit minier. Le cas du PERM (Permis Exploratoire et de Recherche Minière) de Couflens-Salau en Ariège.

Résumé. A partir de l’étude d’un conflit minier dans les Pyrénées, je propose le concept de repaire afin de qualifier ce qui compose les milieux humains (Berque, 2016). Issue d’une recherche doctorale, ma proposition s’appuie sur les résultats d’une enquête ethnographique associée à la réalisation d’un film documentaire. L’une comme l’autre ont trait au projet de réouverture d’une ancienne mine de tungstène (1971-1986) en Ariège, et à la double lutte habitante qui en résulte depuis 2016 : pour et contre la mine.

Nourri des façons divergentes de voir/faire avec l’espace dans le temps long, ce conflit minier mérite d’être envisagé en effectuant un pas-de-côté. En effet, que ce soient à travers les paysages, les infrastructures, les animaux ou encore la “nature”… individus et collectifs tentent sans cesse d’incarner leurs arguments dans tout un tas d’objets géographiques, bien au-delà de l’ancienne mine en tant que telle. Autant de formes matérielles dont la fonction est de symboliser le social (Chivallon, 2008). Or celles-ci me semblent se trouver au cœur de ce qui compose les milieux humains, de surcroît moduler le passage de l’expérience intime à l’expérience collective d’un territoire. Je propose de les nommer repaires.

Prolongeant les affordances gibsoniennes, le concept se situe à l’interface de la mésologie (Berque, op.cit.) et des théories spatiales de l’imaginaire (Chivallon, op.cit. ; Debarbieux, 2015). L’étymologie double du repaire/repère permet d’appréhender de façon non-binaire les éléments du milieu tels qu’ils sont saisis par l’individu, le collectif ou la société qui les pratique et contemple. Repères cartésiens, mesurables, cartographiables (topos), ils sont aussi repaires existentiels et symboliques (chôra), synonymes d’attachements aux lieux (Sébastien, 2016). Faire une géographie des repaires, c’est matérialiser l’habiter (Stock, 2015) dans l’espace et déceler les relations de pouvoir qui s’y nouent, à travers les objets géographiques qui font sens dans l’expérience du monde de tout un chacun.

Ainsi le déchirement parmi les habitant.e.s face au futur projet minier est à l’image des divergences quant aux façons de vivre et pratiquer leur milieu de vie. Et le conflit minier, le théâtre d’une confrontation inégale : entre la perte des repaires du monde rural prémoderne (Dalla Bernardina, 2011) d’une part, puis l’imposition progressive des repaires de la néoruralité (Saumon & Tommasi, 2022) d’autre part. Il met en lumière les transformations de long cours dans ce territoire montagnard de marge, où désormais s’associent plus qu’elles ne se confrontent, politiques d’extraction minière et ensauvagement (Barraud & al., 2019). Un binôme à l’image du registre de l’exploitection caractéristique de l’État moderne (Stépanoff, 2021), qui questionne en retour les formes de vie possibles dans des vallées fortement enclavées, et l’aménagement qui les sous-tend.

Barraud, R. & al. (2019). Ensauvagement et ré-ensauvagement de l’Europe :  controverse et postures scientifiques, Bulletin de lassociation de géographes français, 96(2), 301-318.

Berque, A. (2016). Ecoumène. Introduction à l’étude des milieux humains, Paris, Belin, 448p.

Chivallon, C. (2008). L’espace, le réel et l’imaginaire. A-t-on encore besoin de la géographie culturelle ?,Annales de géographie, 2-3(660-661), 67-89.

Dalla Bernardina, S. (2011). Le retour du prédateur. Mises en scène du sauvage dans la société post-rurale, Presses Universitaires de Rennes, 132p.

Debarbieux, B. (2015). Lespace de limaginaire. CNRS Editions.

Saumon, G., Tommasi, G. (2022). La Néoruralité. Recours à la campagne, Clermont-Ferrand : Presses Universitaires Blaise Pascal, Coll. L’Opportune, 63p.

Sébastien, L. (2016). L’attachement aux lieux, vecteur de mobilisation collective ? Etude de cinq territoires ruraux, Norois, 1-2(238-239), 23-41.

Stépanoff, C. (2021). L’animal et la mort. Chasses, modernité et crises du sauvage, Paris, La Découverte, 2021, 384 p.

Contacts : antoine.fontaine@cnrs.fr – emmanuel.martinais@entpe.fr – annabelle.serraz@univ-grenoble-alpes.fr

Programme 2024/2025 du séminaire Flux et Circulations

Matières en transit dans le port d’Amsterdam. Crédits @ Fons Heijnsbroek @Unsplash

Comment se structure le fonctionnement matériel et énergétique de nos sociétés ? Comment l’attention aux matérialités permet de comprendre les enjeux des crises environnementales, de mettre en récit les réponses qui sont formulées et, plus généralement, de problématiser les relations environnements-sociétés ?

Le tournant matérialiste au sein des sciences humaines et sociales fournit de nombreuses clés de lecture pour analyser et expliquer les relations environnements-sociétés et les systèmes sociopolitiques en mettant l’accent sur les flux d’énergie et les propriétés des matières (Mitchell 2011), les racines matérielles et politiques du changement climatique (Malm 2016), le fonctionnement métabolique de nos sociétés (Heynen, Kaika et Swyngedouw 2005) ou les symbioses énergétiques et matérielles (Fressoz 2024).

Le séminaire 2024/2025 de l’Atelier Flux et Circulations explore les actualités de ces pensées et les nouvelles pistes ouvertes sur ces sujets en donnant la parole à des intervenant.es ayant récemment publié un ouvrage, défendu une thèse ou initié un nouveau projet de recherche. Il est animé par une équipe de recherche pluridisciplinaire (géographie, sociologie, histoire, sciences politiques, sciences de l’environnement, sciences de l’ingénieur) du laboratoire Environnement Ville Société (UMR 5600).

Le cycle de séminaire est ouvert à tous.tes,chercheur.es, doctorant.es et étudiant.es. Les practicien.nes sont également les bienvenu.es.

Les séances se déroulent sur une base mensuelle, les vendredi matin de 10h à 12h dans les locaux du laboratoire EVS (salle à définir), de Octobre 2024 à Juin 2025, à l’exception d’un séminaire doctoral accueilli à l’Ecole des Mines de Saint-Etienne en Mai et au cours duquel les participant.es pourront présenter leurs recherches en cours ou leurs projets en cours de construction.

 

Fressoz, J.-B., 2024. Sans transition: une nouvelle histoire de l’énergie, Ecocène. Points, Paris.

Heynen, N., Kaika, M., Swyngedouw, E. (Eds.), 2006. In the nature of cities: urban political ecology and the politics of urban metabolism, Questioning cities series. Routledge, London ; New York.

Malm, A., 2016. Fossil capital: the rise of steam-power and the roots of global warming. Verso, London ; New York.

Mitchell, T., 2011. Carbon democracy: political power in the age of oil. Verso, London ; New York.

 

Contacts : Antoine Fontaine (antoine.fontaine@cnrs.fr), Emmanuel Martinais (emmanuel.martinais@entpe.fr) et Annabelle Serraz (annabelle.serraz@univ-grenoble-alpes.fr) 

 

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Séance 1 : vendredi 11 octobre 10h-12h

  • Geneviève Pruvost (sociologie). Présentation et discussion du livre « La subsistance au quotidien » (2024) dans lequel elle adopte une approche ethno-comptable pour mesurer et conter le quotidien d’un collectif de boulangers-paysans dans leur quête d’une subsistance sobre.

 

Séance 2 : vendredi 8 novembre 10h-12h

  • Victoria Chiu (droit), Rémy Dufal (droit) et Oriane Sulpice (droit). Présentation et discussion de trois recherches en cours en droit de l’environnement et des questions croisées que celles-ci soulèvent.

 

Séance 3 : vendredi 6 décembre 10h-12h

  • Lisa Claussmann (sociologie). Présentation et discussion de sa thèse « Au nom de l’environnement. Stocamine : la reconversion d’un territoire minier par l’enfouissement de déchets dangereux » (2023).

 

Séance 4 : vendredi 17 janvier 10h-12h

  • Etienne Dufour (géographie). Présentation et discussion de sa thèse « La fin du recyclage ? Rupture métabolique et politiques biogéochimiques en région parisienne au 20e siècle » (2024).

 

Séance 5 : vendredi 14 février 10h-12h

  • Mickaël Mangeon (sociologie) et Emmanuel Martinais (géographie). Présentation et discussion autour d’une recherche en cours sur l’adaptation de la doctrine en matière de sûreté nucléaire face au changement climatique.

 

Séance 6 : vendredi 21 mars 10h-12h

  • Pierre Fournier (sociologie) et Cesare Mattina (science politique). Présentation et discussion de l’ouvrage codirigé avec Barbara Curli et Elisabetta Bini « Les territoires des transitions énergétiques. Nucléaire et énergies renouvelables en Italie et en France » (2023).

 

Séance 7 : vendredi 18 avril 10h-12h

  • Camille Steinik (sciences de la soutenabilité). Présentation et discussion d’une recherche en cours sur les stratégies de sobriété dans la rénovation de bâtiments résidentiels.

 

Séance 8 : vendredi 16 mai 10h-16h (à Saint-Etienne)

  • Séminaire doctoral. Présentation et discussion des travaux en cours de doctorants et post-doctorants de l’atelier flux et circulations.

 

Séance 9 : vendredi 13 juin 10h-12h

  • Antoine Fontaine (géographie) et Laurence Rocher (urbanisme). Présentation et discussion du livre « Le défi thermique » (2025) qui analyse les enjeux de la transition énergétique par le prisme de la production, la distribution et des usages de la chaleur et du froid.

31 mai – cartographier l’énergie et l’environnement (outil Terristory, AURA-EE)

@AnnieSpratt@Unsplash

Le dernier séminaire avant l’été de l’Atelier Flux et Circulations se tiendra le vendredi 31 mai au 18 rue Chevreul à Lyon en salle 604 de 10h à 12h. Nous aurons le plaisir d’écouter et d’échanger avec Pierrick Yalamas, le directeur intelligence territoriale et observatoires au sein d’Auvergne Rhône-Alpes Energie Environnement (AURA-EE). Il viendra en particulier présenter l’outil en ligne (et gratuit) Terristory qui donne accès à de nombreuses données énergie-climat et permet de les cartographier de l’échelon communal à l’échelon régional. Si vous ne connaissez pas déjà cet outil, n’hésitez pas à en explorer les fonctionnalités avant la séance et à venir avec vos questions.

Nous vous attendons et espérons nombreux.ses.

Bien cordialement,

L’équipe d’animation de l’Atelier Flux et Circulations de l’UMR EVS

3 mai – séminaire doctoral annuel “Flux et circulations”

Centrale électrique de Martins Creek et Bangor (@martinadams @Unsplash)

L’Atelier organise le vendredi 3 mai une journée de présentation des travaux doctoraux en cours. La journée débutera à 9h30 pour s’achever à 16h30, et se déroulera à l’Ecole des Mines de Saint-Etienne (Amphitheatre 104, Espace Fauriel, plan d’accès sur https://www.mines-stetienne.fr/plans-dacces/ ). Nous aurons le plaisir d’écouter et de discuter avec Enora Barrau (EMSE), Maïlys Genouel (ENS de Lyon), Romain Guillerm (EMSE), Mathilde Hermelin-Burnol (Lyon3) et Rachel Seillier (EMSE). Une visioconférence sera disponible pour celles et ceux qui ne pourront être présent.es sur place. Le lien sera communiqué par mail sur demande.

Programmes des interventions:

9h30-10h30: Enora Barrau (EMSE) – Trajectoires low-tech de filières de gestion des déchets : positionnement de l’évaluation environnementale par analyse du cycle de vie

10h30-11h30: Maïlys Genouel (ENS) – Quand un risque en cache un autre : les pollutions causées par les inondations urbaines représentent elles un problème pour les gestionnaires québécois et français ?

11h30-12h30: Romain Guillerm (EMSE) – Une méthodologie de construction de scénarios low-tech prospectifs à travers l’étude de filières pain

12h30-14h00: Pause déjeuner

14h-15h: Mathilde Hermelin-Burnol (Lyon 3) – Prévenir les riverains ou se prévenir des riverains ? Gestion locale du risque pesticides et inégalités environnementales

15h-16h: Rachel Seillier (EMSE) – Using bioavailability assessement to better diagnose the contamination potential of industrial territories

16h-16h30: conclusion du séminaire et point sur les actualités de l’Atelier Flux et Circulations

5 avril – Analyse des dynamiques de filières et de marché pour la valorisation des déchets-ressources en France

Le prochain séminaire d’atelier “Flux et Circulations”, qui aura lieu le 5 avril, aura pour thème “Analyse des dynamiques de filières et de marché pour la valorisation des déchets-ressources en France”. Il présentera les questions de recherche et premiers résultats d’un projet de 15 mois financé par le réseau RECORD (https://record-net.org/), porté par Mines Saint-Etienne (Audrey Tanguy), impliquant plusieurs membres de l’atelier dont Pierre Desvaux, Romain Garcier et Valérie Laforest.

Dans un contexte marqué par une intensification et une multiplication des exutoires cherchant à donner une valeur économique aux déchets, ce projet a pour but d’identifier les dynamiques de compétitions à l’œuvre dans le déploiement de filières de valorisation des déchets en France, et d’évaluer leurs conséquences économiques, environnementales et sociales. Plusieurs gisements sont à l’étude, dont les biodéchets, les déchets plastiques (PET/PE), les terres excavées, les déchets papiers-cartons, le bois B et les déchets textiles. Une fois terminée (en fin d’année 2024), l’analyse s’appuiera sur une trentaine d’entretiens menés auprès de différents acteurs (donneurs d’ordre, entreprises de collecte/traitement, représentants de fédérations professionnelles, éco-organismes, experts indépendants).

Lors du séminaire du 5 avril, Audrey Tanguy, Pierre Desvaux, Romain Garcier aborderont en particulier les dynamiques de compétitions déjà identifiées et le rôle plus spécifique des filières REP dans l’émergence de ces dynamiques.

Horaire et lieu: 10h à 12h, en salle 301 au 18 rue Chevreul à Lyon. Une visio est prévue pour celles et ceux qui ne peuvent pas se déplacer –> https://zoom.us/j/97390697471

Au plaisir de vous y voir nombreux/ses.

12 avril – séminaire sur la construction de l’action publique environnementale

Nous avons le plaisir de vous convier à un séminaire le vendredi 12 avril de 9h à 12h au cours duquel nous échangerons avec François-Mathieu Poupeau (CNRS, LATTS) et Emmanuel Martinais (ENTPE, EVS). Ils viendront nous présenter deux ouvrages récemment publiés qui rendent compte d’enquêtes menées au sein du ministère de l’environnement et dans lesquels ils décryptent chacun la fabrique des lois, des règlements et des stratégies politiques en matière de prévention des risques industriels pour l’un, et d’énergie-climat pour l’autre. Leurs travaux livrent une description très fine des processus de construction de l’action publique en matière d’environnement en France, depuis les services centralisés ou décentralisés de l’Etat, lors de la rédaction de grands documents cadres stratégiques ou dans la mise à l’épreuve territorialisée de mesures concrètes. Ils abordent des processus de construction de l’action publique conflictuels et décryptent les débats politiques et administratifs qui jalonnent ces conflits et les arbitrages qui sont opérés.

Après un temps de présentation par les auteurs et de discussion avec les participant.es de chacun des livres, la discussion portera sur les enseignements croisés et sur les perspectives de recherche ouvertes par les travaux présentés.

Le séminaire se déroulera au 18 rue Chevreul à Lyon, en salle 302. Une visioconférence pourra être mise en place à la demande des collègues qui ne pourront être présent.es en salle. Nous vous attendons et espérons nombreux.ses.  

  • Poupeau, François-Mathieu, L’Etat en quête d’une stratégie énergie-climat, Paris, Presses des Mines, 2023. L’énergie-climat est devenu un sujet de préoccupation majeur en France, qui interpelle l’État dans sa fonction de stratège. Comment celui-ci se saisit-il de ce nouveau rôle ? Comment construit-il sa vision du futur ? Comment fixe-t-il les grandes orientations censées répondre aux défis de la lutte contre le changement climatique et de la transition énergétique ? Ces interrogations sont au cœur de cet ouvrage, qui se penche sur la rédaction, de 2017 à 2020, de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). S’appuyant sur une enquête approfondie menée auprès des acteurs qui ont participé à leur élaboration, il offre une contribution inédite à la sociologie de l’administration et de la décision publiques, dans un domaine encore peu étudié. Il permet aussi d’identifier une facette méconnue de l’inaction de l’État en matière climatique : l’impuissance dans laquelle est placée, en France, l’administration en charge de cette question. Reléguée à un rang périphérique dans le champ bureaucratique, disposant d’effectifs et de moyens limités, dénuée de réels leviers d’action, peu soutenue par les politiques, celle-ci peine à insuffler les dynamiques de transformation nécessaires à l’atteinte de l’objectif de neutralité carbone en 2050.
  • Martinais, Emmanuel, La fabrique administrative des lois et règlements, Lausanne, Peter Lang, 2024. De façon surprenante, la sociologie de l’État et de l’administration a tendance à ignorer les corps intermédiaires de fonctionnaires qui représentent pourtant le gros des effectifs ministériels et des rouages essentiels de l’action étatique. En France notamment, les analyses se limitent le plus souvent aux deux extrémités des structures bureaucratiques, laissant systématiquement dans l’ombre tous les acteurs administratifs du milieu, qui ne sont ni des hauts-fonctionnaires ni des street level bureaucrats. Qui sont ces fonctionnaires du milieu ? A quoi servent-ils exactement ? Que font-ils concrètement ? Dans quels espaces évoluent-ils ? Comment travaillent-ils ? De quoi décident-ils ? C’est à ces différentes questions que ce livre propose de répondre, en suivant pas à pas le processus de réforme de la politique publique de prévention des risques industriels engagé il y a presque vingt ans suite à la catastrophe d’AZF de septembre 2001.